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Le samedi 23 avril 2022

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Crise de la solidarité internationale (2) : l’hécatombe

Dans un premier billet, je disais que l’AQOCI, l’organisation qui regroupe la très grande majorité des OCI au Québec, est en état d’alerte maximum. Elle tenait une assemblée générale spéciale à la Maison du développement durable. Près d’une centaine de représentants d’OCI y participaient en réponse à l’invitation de la direction de l’organisation.

Ce n’était pas une journée de décisions mais d’exploration pour bien diagnostiquer le tournant en train de se prendre et examiner ce qui pourrait se faire compte tenu de la force avec laquelle les décisions de l’ACDI ont frappé. Dès l’inscription, me dit mon collègue Mathieu qui était sur place toute la journée, on se rend compte de la diversité et de la richesse de la participation à l’assemblée. Les membres de l’AQOCI sont venus en grand nombre et représentent la plupart des secteurs de la coopération internationale. On y retrouve également toutes les régions du Québec. Cette représentation variée allait de CARE à l’Entraide missionnaire, du CECI à Alternatives, du CISO au Comité pour les droits humains en Amérique latine, d’Équiterre aux Médecins aux pieds nus et à Médecins du monde, en passant par Oxfam-Québec, le SACO et SUCO, etc. Bref, de la richesse dans la diversité.

Le désastre annoncé

Évidemment, l’heure n’était pas aux réjouissances. Certaines organisations risquent en effet de fermer leurs portes, d’autres vont licencier du personnel. Et ce qui fait le plus mal : dire à ses partenaires du Sud que bien des choses devront être en suspens pour des mois sinon définitivement compromises. « Ce type de décision a comme conséquence que nous devons aviser nos partenaires terrain des projets non retenus, que nous ne pourrons plus les appuyer après le 31 mars 2012. De plus une partie de nos employés seront remerciés. Par ailleurs, nous avons d’autres projets en cours dans les pays non retenus. Ils sont à risque car nous ne savons pas si nous pourrons continuer nos activités avec eux » de me dire le directeur d’une importante ONG (pour dire ici que les petites organisations ne sont pas les seules touchées).

Pour ma part, le vent a radicalement tourné au sein de l’ACDI d’affirmer Dennis Gruending, journaliste de métier, auteur de plusieurs livres dont le dernier est Pulpit and Politics : Competing Religious Ideologies in Canadian Public Life (2011). Ce livre traite de la montée de la compétition entre chrétiens progressistes et chrétiens conservateurs au Canada. Il vient de signer un article bien campé dans le Ottawa Citizen à l’effet que cette compétition religieuse vient de rebondir dans le secteur de la coopération internationale.

En effet, après avoir effectué un premier décorticage des informations en provenance du ministère de Mme Oda concernant les projets acceptés dans le dit «processus d’appels de propositions», il est fort révélateur d’y retrouver cet élément nouveau : la préférence pour des groupes chrétiens conservateurs – les évangéliques – comme Vision mondiale – tel que suggéré par Dennis Gruending. Cette organisation reçoit plus de $11 millions sur 5 ans pour des projets au Mali, au Ghana, au Sénégal et en Sierra Leone dans le secteur de la sécurité alimentaire. Ce n’est pas tout, sur une vingtaine de projets dans la catégorie des projets de plus de $2 millions, Vision mondiale va chercher le plus gros montant des $111 millions de cette catégorie. Ici il faut évidemment avoir en tête que Kaïros, une ONG chrétienne progressiste financée par l’ACDI depuis plus de 30 ans, a été rayée de la carte de l’Agence fédérale en 2009. Son travail dans le Sud consistait dans la défense de droits humains dans les pays les plus à risque en la matière. Cherchez l’erreur!

On peut aussi mentionner pour fin de comparaison que SOCODEVI, une organisation d’une tout autre nature que Vision Mondiale, qui est laïque, liée au mouvement coopératif québécois (25 ans d’histoire dans des partenariats de longue durée dans le secteur de la sécurité alimentaire) reçoit $7 millions sur 5 ans pour ces projets en Bolivie, au Pérou et au Vietnam mais se voit refuser pour $11 millions de projets au Mali, au Sénégal, au Honduras et dans la région africaine du cacao (Côte d’Ivoire notamment). Tiens donc! Sans compter que UPA-DI, une OCI travaillant depuis 20 ans avec des organisations paysannes particulièrement en Afrique de l’Ouest, a tout perdu dans cet appel de propositions. Pas un rond! Rien! Nothing!

Au total, 53 organisations bénéficient donc de subventions dans les deux catégories (plus ou moins $2 millions) mais quatre fois plus ont été laissées en rade soit 174 sur 227. Un résultat global de 23%. Raisons officiellement invoquées : choix de pays et manque de ressources financières. Mieux ou pire! C’est selon! Gruending introduit une autre pièce : une nouvelle stratégie d’intervention émerge de l’ACDI aujourd’hui. Des ONG sont sollicitées pour «travailler» l’acceptabilité sociale des communautés locales où s’installent des minières canadiennes. «A positive spin!» titre-t-il en guise d’ironie. Plus sérieusement, il en appelle du pasteur de l’Église unie du Canada, le révérend Bill Phipps, pour signaler les effets pervers de telles opérations au Burkina Faso, au Pérou et au Ghana. Et quel est l’ONG partenaire au Pérou? Devinez! Vision Mondiale. Le révérend diagnostique que fatalement des conflits risquent de se produire entre les intérêts des Minières et ceux des communautés. Où logeront alors les ONG en question? Il termine son article en disant : «c’est à surveiller de près!». Rappelons ici que Vision Mondiale est une ONG confessionnelle pentecôtiste américaine, la plus importante ONG au monde au plan financier, présente dans plus de 100 pays avec un dispositif de 22,000 missionnaires.

Une mobilisation politique s’impose

Ce désastre amène donc l’AQOCI à vouloir explorer de nouvelles avenues en s’inspirant de sa campagne Partenaires solidaires menée à l’occasion de l’élection fédérale de mai 2011. Elle s’adressait alors aux différents partis en place afin qu’ils réhabilitent un véritable partenariat de l’ACDI avec les OCI. Résultat : 55 candidats informés, 20 l’ont appuyé (réussite) ; 130 lettres d’appui du public à la campagne reçues par les candidats (Oups ! On visait 1000 lettres) ; 4283 visites sur le site créé par l’AQOCI à cet effet (réussite : on visait 3000 visites en 3 semaines !) ; présence dans les médias jugée satisfaisante (10 lettres d’opinion, un éditorial, 5 entrevues). Bref un succès mais un succès d’estime sans plus ! Pourquoi ? Les risques du plaidoyer étaient plus élevés en mai 2011 qu’il y a cinq ans ; la plupart des organisations sont débordées de travail ; l’intérêt pour se mobiliser est à géométrie variable et le «danger du cavalier seul» n’est pas très loin ; le manque de flexibilité des plus grandes organisations joue aussi dans les facteurs identifiés par l’AQOCI pour expliquer la chose.

L’allié majeur au cours de cette campagne: le NPD. Il est celui de tous les partis qui comprend le mieux la chose. Au lendemain des élections, il constitue l’opposition officielle. Un atout dans le moyen terme mais pas ou peu dans le court terme. Bref, la mobilisation politique est à relancer, ne sera pas facile et sera une longue guerre de tranchée pendant les 3 ou 4 ans à venir. Existe-t-il par ailleurs d’autres avenues à explorer simultanément ? C’est ce que nous verrons dans un prochain billet.

Collaboration à la recherche : Rejean Mathieu, professeur retraité, membre du GESQ.

Discussion

3 commentaires pour “Crise de la solidarité internationale (2) : l’hécatombe”

  1. Félicitations! Très bon article. Une analyse pertinente qui dresse un portrait juste du contexte dans lequel évolue actuellement le monde de la coopération internationale.

    Écrit par Marco Labrie | mars 8, 2012, 10 h 52 min
  2. L’information serait à confirmer mais on m’a dit que sur les 160 projets en provenance du Québec seulement deux ont été accepté! Si c’est le cas on peut conclure que le gouvernement conservateur a décidé de punir le Québec… ce qui serait particulièrement révoltant. Par ailleurs Vision Mondiale est une entreprise privée qui a toujours refusé d’ouvrir ses livres au public… on doit reconnaître que le gouvernement de monsieur Harper est cohérent en soutenant cette ONG privée!

    Écrit par Pierre Lavergne | mars 13, 2012, 10 h 39 min
  3. [...] dans un contexte de crise de la solidarité internationale comme nous l’avons démontré dans une série de trois billets en février et mars mais surtout de recherche de pistes de sortie de cette crise que le GESQ tiendra la seconde partie [...]

    Écrit par Oikos Blogue | Agence québécoise de développement international : le projet est-il viable? | avril 18, 2012, 6 h 10 min

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