L’auteure invitée est Corinne Gendron, professeure titulaire à l’Université du Québec à Montréal et titulaire de la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable.
En s’appropriant le concept de responsabilité sociale, les mouvements sociaux ont donné voix à de nouvelles définitions portées par des problématisations plus politiques du rapport entreprise-société. Ces définitions sont relayées par plusieurs analyses, notamment des rapports de responsabilité sociale et de développement durable où les entreprises s’ingénient à démontrer tout autant qu’à définir leur responsabilité sociale. Insérées dans une logique de dialogue à travers laquelle elles s’adressent, même si c’est de manière diffuse, aux différents acteurs sociaux, les pratiques discursives des entreprises traduisent toute la complexité du contenu substantif de la responsabilité sociale : en partant du respect de la loi, qui circonscrit le comportement acceptable, on vise la légitimité résultant du comportement exemplaire.
Au cœur de cette nouvelle problématisation réside beaucoup plus qu’un débat sur le caractère volontaire des initiatives de responsabilité sociale, car ce qui est en jeu ici, c’est le rôle même de l’entreprise comme institution sociale alors que l’humanité fait face à des défis inédits. Institution sociale privée comme la qualifiait déjà Touraine en 1969, l’entreprise a toujours du articuler ses fins privées et sa contribution à l’intérêt général pour maintenir sa légitimité. En s’appuyant sur la nécessité productive qui lui a permis de temporiser des idéaux égalitaires ou démocratiques au nom de l’efficacité organisationnelle, l’entreprise a offert durant le fordisme les biens de consommation et les salaires permettant de les acquérir au sein d’un idéal de société reposant sur un vaste projet d’équipement des ménages. Si sa production est aujourd’hui plus nécessaire que jamais sur un plan individuel, alors que dès le très jeune âge tout citoyen est socialisé à la consommation, l’arrimage entre la mission de l’entreprise et un grand projet de société qui tend à se décliner en termes de préservation de l’environnement et de qualité de vie est moins évident. À la lecture des rapports qu’elles produisent tout autant que des attaques dont elles font l’objet, on constate que les entreprises peinent à démontrer leur contribution à ces nouveaux défis ; elles insistent bien souvent sur leurs efforts ou des initiatives marginales alors que les résultats et leur cœur de métier restent obstinément à contre-courant des efforts collectifs vers un développement durable.
Vaste chantier que cet arrimage entre une mission tout entière dédiée à une consommation dommageable et des processus comptables et financiers qui rétribuent la fracture sociale d’une part, et le projet de développement durable dont souhaitent se doter nos sociétés modernes avancées d’autre part. Assurément, cet arrimage ne peut reposer uniquement sur une discrétion managériale qui, toute bienveillante soit-elle, ne peut s’exercer que dans un cadre qui structure et confirme la relation problématique de nos économies à l’environnement et à la solidarité sociale. Or, contrairement à ce que laissent penser certains discours malheureusement repris à l’échelle institutionnelle, le mouvement de la responsabilité sociale déborde largement les initiatives volontaristes qui s’en réclament et préside à des mutations profondes qui pourraient refonder l’entreprise.
La première de ces mutations s’opère dans le champ fiscal et comptable, alors que quelques coûts « externes » commencent à être internalisés dans le bilan des entreprises via des taxes, des droits, des primes et autres mécanismes qui viennent modifier la structure de coûts de l’entreprise. Si cette mutation peut sembler technique, elle est en fait hautement politique puisqu’elle modifie la répartition des charges entre les acteurs sociaux : l’assainissement de l’eau ou le reconditionnement du produit n’est plus assumé par la collectivité, mais bien par l’entreprise productrice avec des conséquences sur une plus value à répartir entre actionnaires, dirigeants et salariés.
La seconde de ces mutations touche la nature du lien juridique entre l’actionnaire et l’entreprise, et par extension la finalité même de l’entreprise pour ces actionnaires. Improprement assimilé à un propriétaire par la science économique, l’actionnaire s’apparente encore, juridiquement parlant, à un investisseur, et ses droits vis-à-vis l’entreprise sont limités à une définition de ses intérêts en ces termes (droit de vote, partage des bénéfices, partage du reliquat en cas de dissolution). Or, avec le mouvement de l’investissement responsable, une nouvelle génération d’actionnaires-citoyens réclament de l’entreprise non seulement des bénéfices, mais un comportement responsable et une contribution réelle à l’intérêt général. Alors que certains pays comme le Canada ont modernisé leur législation pour faire place à de telles revendications, la généralisation des rapports de responsabilité sociale participe de cette mutation où la performance corporative n’est plus seulement évaluée à l’aune des indicateurs financiers.
Enfin, parallèlement à cet élargissement du statut de l’actionnaire se discute l’incongruité d’une gouvernance privée pour une institution qui déborde largement la sphère de l’entrepreunariat en venant tout autant définir nos modes de vie que participer aux grands défis qui marquent aujourd’hui nos collectivités. Dans une version revisitée de la co-gestion, on s’interroge sur la pertinence d’une ouverture des organes décisionnels à d’autres acteurs sociaux, les « parties prenantes », pour gouverner une institution dont le caractère privé convainc de moins en moins.
Encore à l’état d’esquisses, peut-être vouées à l’échec, ces mutations annoncent à tout le moins l’irruption d’un cadre institutionnel nouveau auquel même la plus puissante des entreprises ne pourra échapper. À cet égard, les dirigeants qui ont un contact direct avec les associations sur des panels multi-parties-prenantes ont certainement une longueur d’avance : ils disposent, par l’entremise de ces panels, d’une fenêtre sur l’avenir qui leur permet de circonscrire les fondations de la structure économique en émergence, c’est-à-dire les contours d’une économie « responsable » au service d’un développement durable en voie de définition.
Pour lire le texte au complet, on va sur le site de la Chaire RSDD
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