L’auteur invité est Clotilde de Gastines et Claude Emmanuel Triomphe, de Metis correspondances européennes du travail.
Pour passer à un autre modèle de développement, il faut une conscience partagée des échecs des façons de faire du passé. Malgré la crise actuelle, il y a encore du chemin à faire avant que le consensus se fasse sur les causes des difficultés. Il faut que le système actuel implose pour qu’une nouvelle pensée économique puisse s’imposer. Selon Bruno Palier, politiste, vu l’ébranlement des modèles sociaux européens, il est nécessaire de construire une économie où les services occupent la place centrale qui est la leur, non seulement dans la réalité des emplois créés, mais aussi dans la façon de penser l’économie et la société. La stratégie d’investissement social peut y aider. Perspectives
Selon vous, la crise du modèle néolibéral est en cours. Quelles sont les étapes pour reconstruire un nouveau modèle social ?
Nous devons entrer de plain-pied dans une économie de services. 80% de la population active travaille dans le tertiaire, mais on continue de penser avec des schémas mentaux industrialistes. La crise a accéléré le processus de désindustrialisation. Nous sommes encore dans la dénégation de cela. Il ne faut pas faire l’erreur de vouloir réindustrialiser sur des activités du passé.
Les nouveaux emplois doivent être créés dans le secteur des services, parce que le prix du maintien des vieilles industries est très élevé : hyperproductivisme, sous-traitance, etc. Il y a de nouveaux secteurs déjà identifié pour les activités de l’avenir : biotechnologies, énergies renouvelables (solaire et éolien notamment). Pour créer de l’emploi, nous devons aussi envisager de créer de vrais services de qualité à la personne dans le soin, le tourisme, la restauration, des services de mobilité, d’éducation, de formation tout au long de la vie.
On ne renonce pas à l’industrie, on met l’industrie au service des services. On fabrique des Vélib, et on arrête de fabriquer des vélos. Un vélib contient beaucoup de services ! Il faut qu’il ait un antivol, une puce, un GPS…. Pour la voiture, le client a tellement d’options, que ce n’est plus une voiture qu’il achète, mais un service, que ce soit pour Audi, ou encore comme le montre la dernière publicité « Mu by Peugeot ».
Le nouveau modèle économique et social doit pouvoir prévenir le chômage, équiper les individus, promouvoir les carrières ascendantes, sécuriser les parcours. Il faut apporter les atouts nécessaires aux individus, c’est à dire leurs donner les capacités intellectuelles, professionnelles, les infrastructures qui permettent le progrès social. Les théories d’Amartya Sen sur l’économie du développement constatent que ni la colonisation, ni le capitalisme ravageur, ni les ajustements structurels ne peuvent être un modèle. C’est l’investissement social qui est capable de régénérer l’État-providence en restaurant l’équilibre entre les besoins du marché du travail et les besoins de sécurité sociale.
Quelles sont les étapes pour instaurer cet investissement social ?
Dans un premier temps, il faut changer la mesure du PIB. Dans la mesure actuelle, les emplois des services ne sont pas « productifs ». Stiglitz et Fitoussi posent la question : La croissance détruit-elle, ou contribue-t-elle au bien-être ? Comment mesurer une forme de satisfaction vis à vis du service rendu ?
Pour le moment, on continue, y compris pour les services, à avoir des indicateurs de productivité qui sont quantitatifs, industrialistes, même pour les aidants à la personne.
Il faut mobiliser les économistes sur la façon dont on calcule la productivité. Dans le système de comptabilité national, beaucoup de services sont comptés zéro ou 1, un professeur ne crée pas de croissance, il est compté comme une consommation.
Esping Andersen considère que si on veut favoriser l’investissement social, il faut compter autrement la prise en charge de la petite enfance, l’éducation et la formation tout au long de la vie : comme des investissements ! C’est crucial. Parce que vous pouvez continuer à appliquer les critères de Maastricht, mais à quoi bon, si vous n’en ressortez pas l’argent que vous donnez à l’éducation ? L’avenir du pays, de l’Europe et de nous tous se joue sur le nombre de crèches !
Dans un second temps, on favorise l’emploi de qualité. Il faut être qualifié pour construire une maison bien isolée, s’occuper correctement des personnes âgées, des enfants, sans maltraitance. Il faut être innovant, améliorer les conditions de travail. Or là dessus on a beaucoup renoncé.
Dans un troisième temps, il faut que les stratégies européennes concernent tout le monde. L’économie de la connaissance de Lisbonne est une stratégie pour une élite (master et doctorant), alors que la qualification moyenne est de bac +2. Il faut mettre en œuvre une stratégie de qualité localement et pour tout le monde : améliorer les conditions de transport, de logement, les soins de santé, la prise en charge des personnes dépendantes.
Dans un dernier temps, toute l’histoire du progrès politique et social a été de transformer les employés et les ouvriers (masculin), qu’on considérait peu productifs comme des individus dans lesquels il fallait investir (fordisme). Il fallait transformer le prolétariat en classe moyenne. Aujourd’hui, tout l’enjeu est de transformer le nouveau prolétariat des services (les serveurs, coursiers, livreurs, caissiers, aides aux personnes…) en classe moyenne de demain.
Pour lire le texte, on va sur le site de Metis, correspondances européennes du travail.
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