La députée indépendante bien connue Louise Beaudoin, avant de quitter le Parti Québécois, avait piloté au sein du parti le projet d’une Agence québécoise de développement international (AQDI). Qu’est devenu ce projet depuis qu’elle a quitté ce parti ? En fait, elle vient de le relancer en souhaitant que le Parti Québécois tout comme Québec solidaire le fassent leur et que cela devienne un enjeu lors de la prochaine élection.
Ce projet arrive sans doute à point nommé. La crise que traversent les organisations de coopération internationale au Canada est majeure. J’ai déjà traité de cette crise ailleurs. Or c’est au Québec que la nouvelle politique internationale du gouvernement canadien frappe le plus fort parce que c’est au Québec, de façon plus marquée que dans le reste du Canada, depuis les années 70, que le mouvement de solidarité internationale avec des communautés du Sud s’est le plus développé. Ce qui a donné naissance à l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), laquelle regroupe 65 OCI. Ce n’est pas un hasard si la majorité des grandes ONG canadiennes ont leur siège social au Québec.
Cependant l’opération n’est pas simple : d’abord il s’agit d’un dossier important de l’ordre de $800 millions, somme versée à même nos taxes et nos impôts, qui servent de contribution au gouvernement fédéral pour son agence de développement international, l’ACDI. «Occupons ce champ d’action et rapatrions tout çà chez nous» nous dit-elle. Sauf qu’on entre alors dans une zone de tension entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec. Or le Québec du Parti libéral ne va pas plonger dans cette galère ni la CAQ pour laquelle le développement international est le dernier de ses soucis. D’autre part, même si le PQ et QS peuvent assez rapidement être convaincus de la chose, cela ne suffira pas. Il faut impérativement une poussée des principaux concernés, au premier chef, les 65 organisations de coopération internationale réunis sous le chapeau de l’AQOCI.
Une première démarche est donc en cours. Louise Beaudoin rencontre la direction de l’AQOCI début février. C’est un bon début ! D’autres organisations commencent à y réfléchir. Mais il faudra sans doute beaucoup plus que la mobilisation des OCI : que le mouvement syndical s’en mêle à l’initiative par exemple de DSI (bras international de coopération Nord-Sud à la CSN) ; que le mouvement des agriculteurs (alimenté par UPA-DI) s’en mêle ; que le mouvement coopératif québécois à l’occasion de son Sommet international et de son prochain Forum (octobre 2012) s’en mêle ; que le mouvement des femmes dans son volet international (MMF) s’y engage. Et ainsi de suite !
Quel est l’enjeu ? Le gouvernement canadien est en train de saborder toute la politique antérieure. Les OCI, les unes après les autres, sont mises au pas : en tête de liste les organisations de femmes qui travaillent sur les questions de santé en ayant des orientations pro-choix ont perdu leur financement public fédéral. Des OCI comme Alternatives et d’autres (Droits et Démocratie, Kaïros, etc.) se sont vus couper drastiquement leurs fonds en provenance de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) pour des motifs politiques. Et même une organisation comme le CCCI qui regroupe l’ensemble des OCI du Canada : financé par l’ACDI depuis 40 ans il s’est vu couper la totalité de ses fonds l’an dernier.
Mais quels sont ces choix politiques qui passent par l’ACDI mais, à la différence d’autrefois, se décident plus haut ? Ce champ d’action est devenu beaucoup plus «politisé» (au sens de la politique partisane). Le gouvernement ne laisse plus de marge de manœuvre à son agence. À coup sûr, les questions de santé des femmes. Le mouvement de décriminalisation de l’avortement, au Brésil et au Mexique par exemple, y est pour quelque chose. Tout comme les positions critiques d’OCI à propos d’Israël. Tels ont été les premiers motifs d’intervention. Mais aujourd’hui tout a tendance à passer dans le collimateur : les enjeux économiques (mines canadiennes dans les pays du Sud par exemple) ou encore les enjeux climatiques. On sait que le développement durable n’est pas la tasse de thé du gouvernement Harper surtout avec Durban l’automne dernier. Or la très grande majorité des OCI sont assez fortement commis sur cet enjeu. On peut critiquer les minières canadiennes dans les pays du Sud (au Pérou par exemple). Mais le message est clair : c’est à vos risques et périls !
En fait, c’est un contrat social, vieux de 30 ans, entre les OCI et l’ACDI que le gouvernement Harper, devenu majoritaire, est en train de transformer de fond en comble. Or les OCI dont un grand nombre sont nées dans la ferveur de la solidarité avec le Sud au cours des années 70 cumulent des décennies de travail et d’expertise avec leurs partenaires du Sud. C’est 40 ans de travail qui est compromis et 40 ans d’expertise qui est en train de se perdre.
Toutes les OCI sont aujourd’hui dans l’expectative. L’ACDI est paralysée dans ses décisions. Les réponses à venir pour les OCI qui font affaire avec l’ACDI sont en attente depuis août dernier quant à leur planification pour 2012-2017. « Un des grands défis de la prochaine année sera d’obtenir un nouveau projet de partenariat…projet qui implique plusieurs centaines de coopératives dans une douzaine de pays » de dire Guy Lamontagne, directeur du développement des affaires à SOCODEVI dans le dernier rapport annuel de l’organisation. Le financement pour des projets en cours avec des partenaires du Sud s’en ressentent déjà fortement. Toutes les organisations engagées dans le développement international sont aux abois.
Le projet d’une AQDI serait une brèche dans cette politique canadienne qui s’annonce de plus en plus comme une tendance lourde vers le conservatisme le plus plat. Louise Beaudoin, qui accordait une entrevue au Journal des Alternatives en décembre dernier affirmait : « Nous avons par exemple récupéré une partie importante de l’assurance-emploi. C’est donc possible…À la limite un référendum sectoriel pourrait être organisé ». Elle terminait son entretien en disant que le Québec, à cet égard, est un peu comme les pays scandinaves : le Québec croit à l’aide au développement et serait prêt à y consacré la somme voulue (0.7% de son PIB). Il a aussi comme ses pays une politique de développement durable du moins dans certains secteurs. Il peut développer, sur la base de l’expérience acquise depuis plusieurs décennies en coopération de proximité, un modèle de coopération qui lui correspond tant sur le plan écologique que social et économique. 2012 sera une année charnière sur cette dimension politique du développement durable et de la solidarité internationale.
Discussion
Pas de commentaire pour “Une Agence québécoise de développement international ?”