L’auteur invité, Antoine de Ravignan, est journaliste au magazine Alternatives Internatrionales (extraits)
Rejetées par une majorité de citoyens européens, les cultures transgéniques n’ont que marginalement pris pied sur le Vieux Continent: 108 000 hectares en 2008 dans sept pays de l’UE, dont les trois quarts en Espagne. Mais elles se sont imposées ailleurs.
Elles occupaient l’an dernier 125 millions d’hectares dans vingt-cinq États, soit près de 8% des terres cultivées de la planète. Et même si les États-Unis, l’Argentine et le Brésil sont très loin devant, elles avancent rapidement en Asie et en Afrique.
Aujourd’hui, les organismes génétiquement modifiés (OGM) se résument en pratique à trois cultures: soja, maïs et coton. Mais celles-ci jouent un rôle clé dans l’économie et, surtout, dans l’alimentation de la planète. Ainsi, 40% des superficies consacrées aux grandes cultures (céréales, oléagineux) sont destinées à l’élevage. Et le couple soja-maïs, qui prédomine dans l’alimentation animale, est aujourd’hui largement transgénique: 70% de la production mondiale dans le cas du soja.
Pourquoi les OGM tendent-ils à devenir la norme mondiale pour ces cultures… sauf dans l’UE? Le poids de l’opinion a été déterminant. Un rare sondage international, effectué en 2000 par un institut canadien dans 34 pays sur cinq continents fait apparaître des taux d’acceptation inférieurs à 42% dans les pays européens (mais également au Japon ou en Russie), et supérieurs à 65% aux États-Unis, en Chine, en Inde. D’autres grands pays paraissaient majoritairement favorables aux OGM, comme le Brésil, le Canada, les Philippines ou le Mexique. Entre les États-Unis (50% des OGM cultivés dans le monde) et l’UE (0,1%), les sondages continuent de confirmer ce grand écart des opinions, reflet entre autres d’attitudes différentes vis-à-vis de l’innovation et du risque, de l’alimentation et des valeurs qui y sont attachées ou non.
Mobilisation et expertise associatives
Mais l’exception européenne ne s’explique pas seulement par la réticence d’opinions publiques, qui peuvent par ailleurs se montrer nettement favorables (Espagne, Portugal, Irlande, Bulgarie et Malte). Face au lobbying des firmes semencières, celui des associations anti-OGM a été efficace et a poussé les décideurs à adopter des législations bien plus restrictives qu’en dehors de l’UE. Organisées, dotées d’une réelle capacité d’expertise, présentes dans les médias, légitimes auprès d’une grande partie de la population, ces associations ont pesé lourd dans le débat public, interpellant les élus et mobilisant les électeurs sur ce sujet. Au final, il n’y a guère que dans l’UE que tous ces ingrédients – une opinion globalement réticente, des associations puissantes et des institutions plutôt démocratiques – se sont trouvés réunis et ont combiné leurs effets.
Moratoires nationaux
Le bilan? Une seule variété, le maïs transgénique Mon810 de Monsanto, est actuellement autorisée à la culture dans l’UE, quand ailleurs les agriculteurs ont l’embarras du choix. C’est le résultat d’une procédure d’autorisation complexe où, in fine, faute de majorité qualifiée entre des États-membres de l’UE divisés, les dossiers sont systématiquement bloqués, à moins que la Commission ne prenne sur elle de trancher. Ce qu’elle a fait dans le cas du Mon810. Mais si elle peut autoriser, elle ne peut pas vraiment imposer: depuis 2005, six pays, l’Autriche, la Hongrie, la Grèce, rejoints par la France, le Luxembourg et dernièrement l’Allemagne (14 avril) ont prononcé unilatéralement des moratoires sur cette culture, que Bruxelles a dû entériner faute de pouvoir obtenir des autres États la condamnation des contrevenants. Et même dans les pays où le maïs est autorisé, les règles prudentielles de la directive de 2001, adoptée grâce à la mobilisation anti-OGM en Europe, imposent des contraintes environnementales et administratives aux agriculteurs, ce qui peut en limiter la diffusion. […]
Secret industriel gênant
A ce problème, qui prend un tour inquiétant, s’ajoutent de nombreuses incertitudes, qu’il s’agisse des effets de la contamination par les OGM d’espèces sauvages et cultivées ou même de possibles effets toxiques pour l’homme, mais difficilement décelables quand les autorisations, pour la consommation humaine et animale, se fondent sur des tests sur des rats de laboratoire limités à… trois mois.
Il en va des OGM comme de toute technologie nouvelle: la certitude n’existe pas. En revanche, un choix démocratique passe par une meilleure évaluation des risques. Or celle-ci se heurte au secret industriel. « Les dossiers techniques et les informations fournis par les firmes semencières aux administrations et à leurs comités scientifiques pour autorisation ne sont pas rendus publics », s’insurge le chercheur Gilles-Eric Séralini, directeur du conseil scientifique du Criigen. Ce qui interdit la contre-expertise. Le 10 février 2009, des universitaires américains – favorables aux OGM – ont adressé une plainte à l’Agence de protection de l’environnement américaine car les semenciers interdisaient de fait leurs travaux, en leur refusant l’accès à certaines données ou en leur retirant purement et simplement l’autorisation d’étudier eux-mêmes des plantes OGM. Un droit que font valoir en toute légalité des firmes en position d’oligopole […].
Découvrez l’ensemble du dossier dans Alternatives Internationales n° 43.
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