« L’histoire de l’expérience coopérative nous a montré l’énorme versatilité et la grande fécondité de la méthode coopérative qui a permis de la voir appliquée avec succès à diverses activités économiques et sociales. Au cours des dernières décennies une nouvelle forme coopérative a vu le jour en Italie dans la deuxième moitié des années ’70 : les coopératives sociales » nous écrit Enzo Pezzini, aujourd’hui directeur du bureau de Bruxelles de la Confédération des coopératives italiennes dans les suites de la Conférence internationale tenue à Lévis à l’automne 2010.
Les coopératives sociales italiennes qui ont émergé dans les trois dernières décennies sont en effet très vigoureuses : en 2005, elles sont 7363 coopératives qui emploient 244,000 personnes (dont 211,000 ont un statut d’employés réguliers). À cette date, elles ont un volume d’affaires annuel cumulatif de 9 milliards de dollars.
Beaucoup d’organisations nées pour développer l’activité de plaidoyer (advocacy) ou de promotion de droits sociaux, nous dit Pezzini, « se sont transformées en producteurs de services, condition nouvelle essentielle pour réaliser la mission qui avait motivé leur naissance ». L’évolution de la dimension productive a été ensuite renforcée et accélérée « par la diffusion de stratégies de délégation de missions de service public à des associations citoyennes en ce qui a trait à la production des services sociaux, surtout au niveau local » permettant ainsi l’émergence de nouveaux acteurs comme les coopératives sociales, organisations pouvant mieux répondre à la production de services de proximité, et ce, de manière continue, professionnelle et entrepreneuriale. C’est une vision similaire qui a inspiré la Fédération des coopératives de service à domicile et de santé du Québec (FCSDSQ) nous dit son directeur général J. Benoit Caron :
« Depuis la Révolution tranquille, l’État québécois s’est imposé comme principal dispensateur de services publics et collectifs. Cette période fut caractérisée notamment par la réforme du système d’éducation, l’instauration de l’assurance santé et la nationalisation du réseau électrique. Quarante ans plus tard, ce modèle d’État-providence n’a plus la capacité de répondre à tous les besoins de ses citoyens. Dans ce contexte, l’État adopte diverses stratégies pour se désengager tout en assurant l’accès à certains services. Par exemple, l’État fait de plus en plus usage des tarifications de service (utilisateur-payeur), des agences privées d’infirmières ou des partenariats public-privé pour la construction d’infrastructures. La nature ayant horreur du vide, certains citoyens qui n’y trouvent pas leur compte s’organisent en marge de ces nouvelles pratiques étatiques. Ce fut le cas en 1989, lorsqu’une poignée de citoyens a fondé la Coopérative de services à domicile de l’Estrie. Il fallut attendre les recommandations du groupe de travail sur l’économie sociale du Sommet sur l’économie et l’emploi de 1996 pour que l’État reconnaisse et appuie ce modèle de prise en charge de service de proximité. Pourtant, les coopératives de services à domicile sont des solutions collectives et économiques, où se pratique une gestion fondée sur la participation des citoyens et la vente des services à juste prix. »
En Italie, comment les choses se sont-elles passées? Les coopératives sociales (définies communément comme coopératives sociales de type A) se sont articulées principalement autour des services à domicile, de centres d’accueil, de centres socio-éducatifs, de communautés thérapeutiques, d’éducation et de prévention, de crèches et de maisons de repos pour des usagers tels que les handicapés physiques et mentaux, des personnes âgées, des mineurs, des toxicomanes, des personnes atteintes du sida. Immense chantier d’intervention sociale inscrit dans un travail collectif issu des communautés et finalement reconnu et soutenu par les pouvoirs publics.
Les coopératives sociales de type B ont été principalement conçues dans le cadre de politiques actives pour l’emploi. Elles se sont articulées principalement autour de l’agriculture, de l’entretien des espaces verts, du nettoyage, de la blanchisserie industrielle, de l’informatique, de la reliure et de la typographie, des activités artisanales et de services divers.
Les leçons que l’on peut en tirer pour le mouvement coopératif, nous dit cet artisan, devenu un dirigeant à l’échelle européenne, sont qu’il faut savoir devenir un mouvement social et qu’il ne faut hésiter à s’équiper pour exercer un rôle politique. Autrement on risque de perdre identité et autonomie. Les coopératives sociales et les autres acteurs de l’économie sociale peuvent jouer un rôle fondamental dans la transformation de l’État social surtout dans les services de proximité et dans la lutte contre l’exclusion. Il y a cependant des conditions pour y arriver :
a) que l’État assume pleinement son rôle et les fonctions qui ne peuvent pas être déléguées à un «troisième secteur» – qui se distingue du premier secteur (marchand) et du second secteur (public) – telles la programmation des services fondamentaux pour tous, la coordination et la valorisation des ressources publiques et privées présentes dans les territoires, la surveillance de cet ensemble sur tout le territoire.
b) que le marché, dans sa fonction primaire de production de biens et services à travers la loi de la demande et de l’offre, reconnaisse ses limites ;
c) que les expériences coopératives sachent faire valoir leur capacité d’unir efficacité et solidarité afin d’obtenir la reconnaissance de leur rôle d’anticipation de réponses aux nouveaux besoins, d’intégration et de complémentarité aux services existants, de stimulation des institutions et des politiques sociales, surtout celles qui concernent les plus faibles ;
d) qu’elles soient finalement aidées en conséquence.
Source : Enzo Pezzini, Services de proximité et coopératives sociales : l’expérience italienne. Texte complet disponible sur le site suivant: http://www.projetdesociete.coop/
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