L’auteur invité est Gérard Bérubé, journaliste économique au Devoir.
Un endettement qualifié de lourd frappe un nombre croissant de Canadiens entrant dans un segment de la population (les 45 ans et plus) pourtant traditionnellement axé sur l’épargne.
Derrière l’endettement déjà record des Canadiens se cache une sombre lecture. Le tiers des ménages ont désormais atteint la limite de leur capacité d’emprunt. Un endettement qualifié de lourd frappe un nombre croissant de Canadiens entrant dans un segment de la population (les 45 ans et plus) pourtant traditionnellement axé sur l’épargne. La barre du taux d’endettement de 160 %, soit celle atteinte aux États-Unis avant l’effondrement du marché immobilier au sud de la frontière, est devenue une réalité pour nombre d’entre eux.
Selon les données de Statistique Canada dévoilées en décembre, l’endettement des ménages canadiens a poursuivi son ascension au troisième trimestre de 2011, alors que le revenu personnel disponible est demeuré inchangé. Ce faisant, le rapport entre les deux a atteint un niveau historique de 152,98 %, contre 148,3 % un an plus tôt. Dans ce palmarès de l’endettement record, le Canada n’est dépassé que par sept autres pays industrialisés, dont le Danemark, la Norvège et la Suisse.
Mais au-delà de ce petit jeu de comparaison, les analystes de la Banque CIBC ont poussé plus loin leur lecture pour conclure que, depuis 2007, «l’augmentation de l’endettement est en totalité le fait des ménages ayant un ratio dette-revenu brut élevé». Dit autrement, «environ 34 % des ménages ont maintenant un endettement pouvant être qualifié de lourd, et ils comptent pour près des trois quarts de l’encours de la dette des ménages», ont souligné les analystes Avery Shenfeld et Benjamin Tal, respectivement économiste en chef et économiste en chef adjoint à la CIBC.
Ainsi, le tiers des ménages canadiens a déjà atteint la barre d’un taux d’endettement de 160 % du revenu personnel disponible, soit celle ayant prévalu aux États-Unis avant l’effondrement du marché immobilier. Ils comptent désormais pour 73 % des dettes contractées par les ménages au Canada et se recrutent davantage dans les provinces de la Colombie-Britannique, de l’Alberta et de l’Ontario, là où il en coûte plus cher pour se loger.
Sans craindre une répétition d’un tel scénario à l’américaine en territoire canadien, les analystes s’inquiètent toutefois du fait que les Canadiens de 45 ans et plus sont davantage nombreux à être fortement endettés. «Le pourcentage de gros emprunteurs dans ce groupe d’âge est passé de 36 % en 2077 à 44 % en 2011, se sont-ils étonnés. Une proportion plus importante des personnes très endettées a plus de 45 ans, un âge où l’accroissement de l’actif net en vue de la retraite devrait constituer une priorité.»
Les deux économistes ont ajouté que «nous observons déjà une hausse des faillites chez les 50 ans et plus», tout en craignant une réduction marquée de leur pouvoir de dépenser au moment de la retraite.
Le phénomène de l’endettement, amplifié par la faiblesse des taux d’intérêt, traduit l’absence de progression du revenu des ménages. «Au cours des dernières années, la croissance des revenus a été anémique. Non seulement le revenu nominal a-t-il baissé pendant la récession, mais lors de la reprise, les consommateurs ont dû composer avec une remontée de l’inflation beaucoup plus rapide que le salaire moyen, ce qui s’explique par la flambée des prix mondiaux de l’énergie et des produits alimentaires de base.»
Si nombre d’analystes rappellent qu’un ratio dette/revenu est peu représentatif, le rapport de la CIBC répond en faisant ressortir une détérioration du patrimoine des ménages ayant atteint la limite de leur capacité d’emprunt, la progression de 18 % de leur endettement depuis 2007 ne reposant que sur une hausse de 4 % de leur actif. D’autres paramètres de Statistique Canada, dévoilés en décembre, vont également dans le sens d’une détérioration de la valeur nette des ménages. Ainsi, la dette atteignait 20,4 % de l’actif à la fin du troisième trimestre de 2011, contre 19,7 % un an plus tôt. En proportion de la valeur nette, elle touchait les 25,6 %, contre 24,5 % au troisième trimestre de 2010.
Dans un sens plus large, et même si on exclut l’hypothèque, la dette à la consommation des ménages a été multipliée par 4,6 en 20 ans au Canada, doublant un revenu personnel disponible multiplié par 2,2 dans l’intervalle. Il en résulte que la dette à la consommation atteignait 45,8 % du revenu personnel disponible à la fin de 2010, contre un taux de 21,8 % à la fin de 1990, selon les données de l’Institut de la statistique du Québec. À l’autre bout de la lorgnette, le taux d’épargne est passé d’un sommet de 20 % (du revenu personnel disponible) en 1980 à un taux de 5 % aujourd’hui.
Le 18 janvier dernier, la Banque du Canada avançait un scénario de croissance économique de 2 % pour le Canada en 2012 reposant essentiellement sur les dépenses des ménages, au risque d’un endettement accru stimulé par le maintien de la faiblesse des taux d’Intérêt. Les analystes de la CIBC mettent en doute une telle contribution. «On peut craindre que les Canadiens aient encore moins l’envie et la capacité d’emprunter davantage à mesure qu’ils seront de plus en plus nombreux à ne plus pouvoir assurer le service de leur dette. Nous avons déjà constaté un recul des dettes à la consommation. Le logement sera peut-être le prochain secteur à connaître le même ralentissement.»
Pour lire le texte, on va sur le site du quotidien Le Devoir
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