L’auteur invité est Paul Krugman, économiste, professeur à la Princeton University et columnist au New York Times.
Ceux qui s’inquiètent du déficit public dépeignent un futur où nous serions appauvris par la nécessité de rembourser l’argent emprunté. Ils décrivent l’Amérique comme une famille qui aurait souscrit un prêt hypothécaire trop lourd, et peinerait à effectuer les remboursements mensuels.
C’est là une analogie vraiment déplorable, pour au moins deux raisons.
Premièrement, les familles doivent rembourser leurs dettes. Pas les gouvernements.
La seule chose qu’ils aient à faire, c’est de s’assurer que la dette croisse plus lentement que leur assiette d’imposition. La dette de la Seconde Guerre mondiale n’a jamais été remboursée. Elle est tout simplement devenue de moins en moins significative, au fur et à mesure des progrès réalisés par l’économie américaine, et de l’élévation en parallèle des revenus assujettis à l’impôt.
Deuxièmement – et c’est un point que quasiment personne ne semble percevoir – une famille trop endettée doit de l’argent à quelqu’un d’autre. Mais la dette américaine est, dans une large mesure, de l’argent que nous nous devons à nous-mêmes.
Ce fut clairement le cas de la dette contractée pour financer l’effort de la Seconde Guerre mondiale. Les contribuables ont hérité d’une dette qui était sensiblement plus importante, mesurée en pourcentage de PIB, que la dette actuelle. Mais les créances correspondant à cette dette étaient également détenues par les contribuables, par tous ceux qui avaient acquis des obligations d’État. De ce fait, cette dette n’a pas rendue plus pauvre l’Amérique de l’après-guerre. En particulier, elle n’a pas empêché la génération vivant à cette période de connaître la plus forte hausse des revenus et du niveau de vie de l’histoire de notre nation.
Mais, la situation n’est-elle pas différente aujourd’hui ? Pas autant que vous pourriez le penser.
Il est vrai que des résidents étrangers détiennent maintenant d’importantes créances sur les États-Unis, y compris un volume important de dette publique. Mais chaque dollar de créances étrangères sur l’Amérique est compensé par l’équivalent de 89 cents de créances que les USA détiennent sur l’étranger. Et dans la mesure où les résidents étrangers ont tendance à diriger leurs investissements en Amérique dans des actifs sûrs – mais ayant un faible rendement – l’Amérique gagne en réalité plus sur ses avoirs à l’étranger qu’elle ne paie aux investisseurs étrangers. Si vous avez en tête l’image d’une nation qui est déjà largement redevable à la Chine, vous avez été mal informé. Ce n’est pas le cas, et nous ne prenons pas ce cap.
Cependant, le fait que la dette publique ne soit aucunement comparable à une hypothèque sur l’avenir de l’Amérique ne signifie pas pour autant qu’elle soit inoffensive. Des impôts doivent être prélevés pour payer les intérêts, et il n’est nul besoin d’être un idéologue de droite pour concéder que les impôts imposent un coût sur l’économie, ne serait-ce qu’en provoquant un détournement de ressources utiles, sous forme de fraude et d’évasion fiscale. Mais ces coûts sont bien moins dramatiques que ce que l’analogie de la famille surendettée pourrait suggérer.
Et c’est pourquoi les nations ayant des gouvernements stables et responsables – c’est-à-dire des gouvernements qui sont prêts à une augmentation limitée des impôts lorsque la situation le justifie – ont historiquement été en mesure de vivre avec des niveaux de dette beaucoup plus élevés que ce que l’opinion commune aujourd’hui pourrait laisser penser. La Grande-Bretagne, par exemple, a supporté une dette dépassant les 100% du PIB pendant 81 des 170 dernières années. Lorsque Keynes a écrit sur la nécessité d’effectuer des dépenses publiques pour sortir de la dépression, la Grande-Bretagne était plus lourdement endettée que ne l’est aujourd’hui toute autre nation de premier plan – exception faite du Japon.
Cependant, l’Amérique, avec son mouvement conservateur farouchement opposé à l’impôt, pourrait ne pas bénéficier d’un gouvernement responsable, au sens évoqué précédemment. Mais dans ce cas, la faute ne proviendrait pas de notre dette, mais de nous-mêmes.
Alors certes, la dette est une question importante. Mais aujourd’hui même, d’autres facteurs le sont plus. Nous avons besoin de plus – et non pas moins – de dépenses publiques pour sortir du piège du chômage. Et cette obsession déplacée, ces conceptions erronées sur la dette, viennent barrer le chemin.
Publication originale NYT, traduction Contre Info
Pour lire le texte, on va sur le site de Contre Info
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