Ce sont les Incas qui seraient contents, eux qui avaient fait du soleil le culte officiel de leur empire. Mais cette fois, plutôt qu’être déifié pour son apport à la production agricole, l’énergie solaire sera transformé pour devenir la principale source de la vie économique au 21e siècle. Nous ne sommes encore qu’au tout début d’une transition de grande ampleur, au cours de laquelle l’énergie solaire devrait jouer un rôle fondamental : alimenter une économie décarbonisée, décentralisée et constituer le facteur de développement des régions équatoriennes. Dans cette série de billets, je vais tenter d’identifier les nombreux éléments qui annoncent cette transition.

L’énergie solaire dans le monde

La figure suivante donne un petit aperçu du potentiel de l’énergie solaire comparé à la consommation actuelle et future et aux autres sources énergétiques. La consommation énergétique totale actuelle (2009, toutes sources énergétiques confondues) serait de 16 TW (16 000 GW ou 16 millions MW). On prévoit qu’en 2050 cette consommation s’élèvera à 28 TW. Or, le potentiel de l’énergie solaire est de 23 000 TW par année. La source énergétique la plus abondante qui s’en approche est l’éolien, avec un potentiel entre 25 et 70 TW par année. La figure montre aussi le potentiel des sources énergétiques non renouvelables. Dans leur cas, leur potentiel est fini : c’est-à-dire qu’il s’agit des réserves totales. La source la plus importante est le charbon dont le potentiel total est de 900 TW, soit 0,04 % de ce que l’énergie solaire fournit à la planète, année après année.

Pourtant nous n’utilisons à l’heure actuelle qu’une infime fraction de ce potentiel énergétique renouvelable pour nos besoins de transport, de chauffage ou autre. Une nouvelle parue sur le site du Washington Post signale que le marché global du solaire photovoltaïque (PV) a été multiplié par 10 depuis 5 ans, dont la majeure partie provient de la Chine. Elle en détient maintenant 47,8% des parts, contre 12,7% pour Taiwan, 9,8% pour l’Allemagne, 8,5% pour le Japon et 21,2% pour le reste du monde.

Les États-Unis n’arrivent que cinquième à ce palmarès. Mais il faut préciser qu’aux États-Unis les projets les plus importants sont venus de la branche de l’énergie solaire thermique. Néanmoins, le solaire PV a doublé au 4e trimestre de 2011 seulement aux États-Unis. Pour l’ensemble de l’Amérique du Nord, la Californie représente 21% du marché, l’Ontario 16%, le New Jersey 11% et le reste des États-Unis 52%.

La croissance de l’industrie est donc forte, mais on s’attend à ce que le solaire vive sa première crise de croissance cette année. En Europe, le chiffre d’affaire des champions allemands SolarWorld et Q-Cells a subi une chute de 30 % à 40 % au dernier trimestre 2010, tandis que le français Photowatt international a déposé son bilan et cherche un repreneur. Ce n’est pas la première fois que le solaire affronte une crise. Après le premier choc pétrolier (milieu des années 1970), on avait connu en effet une première phase de croissance qui s’était assez rapidement dégonflée suite à la baisse durable des prix des énergies fossiles (pendant deux décennies). Mais cette fois c’est différent. Il s’agit véritablement d’une crise de croissance d’une industrie qui cherche un « second souffle ». La crise découle de plusieurs facteurs, dont un affaiblissement de l’aide publique alors que l’industrie n’a pas encore atteint la parité avec les autres sources énergétiques mais aussi, comme pour toute crise de croissance, par le succès technologique du solaire. Le prix des panneaux solaires est en chute libre (pour certains en raison du dumping des panneaux chinois) ce qui conduit plusieurs entreprises (dont Solyndra aux États-Unis) à ne plus être en mesure de faire leurs frais.

Le rôle des politiques publiques

Le rôle des politiques publiques dans cette émergence de l’énergie solaire a été extrêmement important. En particulier, les contrats de tarifs de rachat garantis (Feed-in Tariffs) mis en place dans certains pays ou régions, sont les principaux facteurs explicatifs du succès du développement de l’énergie solaire dans ces territoires. Des contrats de long terme avec des prix attractifs, visant autant les particuliers que les entreprises, expliquent le succès de l’Allemagne, qui n’est pas un pays particulièrement ensoleillé. En Espagne, déjà mieux doté en ensoleillement, ce sont aussi les contrats de long terme qui ont donné l’élan à l’industrie. Même chose pour l’Ontario, dont le programme public est souvent donné en exemple.

Malgré son coût élevé, plusieurs pays peuvaient se permettre ce type de programme parce qu’il obtient un large appui du grand public. Même aux États-Unis les sondages sur ces programmes donnent des résultats très favorables : 9 étatsuniens sur 10 supportent l’idée de favoriser le développement de l’énergie solaire. Pourtant, la crise économique des dernières années rend ces politiques difficiles à soutenir face à la montée des forces de droite qui carburent à la rigueur. La France et l’Espagne l’an passé puis maintenant la Grande-Bretagne qui veut couper l’aide de 50%, sans compter la volonté des membres du Congrès des États-Unis à couper drastiquement dans tous les programmes, tout cela fait en sorte que l’industrie se voit encore une fois confrontée à la possibilité de connaître un brusque arrêt du développement de l’énergie solaire.

Dans le prochain billet on verra que la baisse tendancielle des coûts va permettre à l’industrie de passer à travers cette crise de croissance. La baisse des prix a déjà conduit à une croissance rapide de nouvelles installations solaires, mais de plus gros changements encore se profilent.