L’auteur invité est Jean Gadrey, professeur émérite d’économie à l’Université Lille et collaborateur à Alternatives Economiques.
Le discours dominant est simple et malheureusement il n’est pas dépourvu d’efficacité : la dette publique s’expliquerait par l’excès de dépenses publiques et, dans ce domaine, la gauche serait dispendieuse alors que la droite serait économe.
Tous les économistes un peu sérieux n’appartenant pas à la meute des « nouveaux chiens de garde » ont depuis longtemps démontré que le gonflement de la dette publique n’avait RIEN A VOIR avec une progression des dépenses (leur poids dans le PIB a nettement reculé s’agissant des dépenses de l’État, et il est à peu près stable dans la dernière période pour l’ensemble des dépenses publiques). En complément, je vous livre un beau graphique mis au point par un ami économiste et membre d’Attac, Robert Joumard. Donc vous ne le verrez pas à la télé, ni lui ni son graphique.
Il représente l’augmentation du poids de la dette en % du PIB d’une année sur l’autre depuis 1978. Robert Joumard a eu l’idée fort simple de faire du coloriage en bleu ou en rose en fonction de la nature de droite ou de gauche du gouvernement. Le résultat est limpide : on trouve une tendance à ce que LE POIDS DE LA DETTE PROGRESSE NETTEMENT PLUS EN MOYENNE QUAND LA DROITE EST AU POUVOIR, à l’opposé du discours que j’ai rappelé au début de ce billet.
(Ajout du 22 janvier : on trouve un constat précis et voisin dans un article du 20 janvier de Hervé Grémont intitulé “Sur la dette publique, la gauche moins mauvaise gestionnaire que la droite”)
Comme d’habitude, ce genre de « corrélation » n’est pas une preuve suffisante. On pourrait dire : oui mais la droite n’a-t-elle pas plus souvent trouvé un contexte de ralentissement ou de récession ? Il peut y avoir une part de vérité, mais il reste que, comme le montrent de multiples analyses (dont plusieurs fournies par Alternatives économiques, d’autres dans le livre d’Attac sur la dette, d’autres sur ce blog…), la responsabilité historique de la droite, en particulier depuis 2002, est d’avoir DELIBEREMENT privé l’État de recettes énormes au nom de l’idéologie funeste du « moins d’État », en multipliant les niches et cadeaux fiscaux et les réductions de cotisations patronales. C’est pour cela que, pour l’essentiel, l’excès de dette peut être attribué aux politiques de droite d’inspiration néolibérales, à la fois sous l’angle du « moins d’État », des cadeaux aux plus riches et de la soumission aux intérêts des acteurs de la finance. Dans le double sens des « intérêts » : leurs intérêts de classe, et les intérêts à verser aux prêteurs privés et aux spéculateurs dès lors que les gouvernants ont choisi de se mettre sous leur coupe en leur réservant le droit de prêter directement aux États.
Ce constat est-il un hymne à la « gauche de gouvernement » ? Pas vraiment. S’il est vrai qu’elle n’est pas autant obsédée que la droite par le « moins d’État », elle a son passif au moins deux fautes (à mes yeux, mais je ne suis pas seul).
D’abord, c’est elle qui, en 2000, a initié le processus de fortes baisses d’impôts bénéficiant prioritairement aux plus riches. La droite s’est engouffrée dans la brèche en pouvant dire que cette orientation n’était ni de droite ni de gauche !
Ensuite, elle a participé avec entrain sous le gouvernement Jospin et avec l’appui résolu et décisif de DSK à une vague de privatisations dont le montant équivalait à celui des privatisations de droite antérieures. Cette façon d’augmenter les recettes publiques en vendant au privé « le patrimoine de ceux qui n’en ont pas » (les services publics) fait partie des remèdes du FMI et de la Commission européenne partout, mais on a du mal à la considérer comme une politique de gauche. D’autant que parmi les privatisations de ces dernières décennies, de droite ou de gauche, on trouve au premier plan celles de banques et de compagnies d’assurance livrées ainsi aux actionnaires et vouées à la spéculation, ce qui n’est pas pour rien dans la crise actuelle.
Pour lire le texte original (avec graphique), on va sur le blogue de l’auteur
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