L’auteur invité est Diane Bellemare – Fellow associée au CIRANO.
Les régimes fédéraux sont indispensables pour empêcher ceux qui n’ont pas de régimes complémentaires de tomber dans la pauvreté.
Le vieillissement de la population, les départs imminents à la retraite de nombreux baby-boomers, une espérance de vie toujours croissante et la volonté du gouvernement fédéral d’équilibrer son budget sont autant d’éléments qui ont amené le premier ministre du Canada, Stephen Harper, à proposer, à Davos, une réforme du programme de Sécurité de la vieillesse (SV) et du Supplément de revenu garanti (SRG) «afin d’en assurer la viabilité pour la prochaine génération, sans pénaliser les prestataires actuels». Que faut-il en penser?
Précisons que l’architecture de notre système actuel de sécurité du revenu à la retraite, conçue à la fin des années 60, prévoit trois étages. Le premier vise à assurer un revenu minimum. Il est constitué de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément du revenu garanti, des régimes financés par les revenus généraux du fédéral qui s’additionnent au Régime de rentes du Québec (RRQ) ou au Régime de pensions du Canada (RPC).
La SV, adoptée en 1952, verse aujourd’hui à tout citoyen canadien de 65 ans et plus une pension de 6500 $. Le Supplément, en vigueur depuis 1967 et prévu comme une mesure temporaire, prévoit une aide non imposable aux personnes âgées à faible revenu. Les régimes publics contributifs, le RRQ et le RPC, deux régimes équivalents adoptés en 1966, complètent le premier étage du système.
Le deuxième est composé des régimes complémentaires de retraite, soit les régimes à prestations ou à cotisations déterminées. Selon le plan originel, ces régimes d’entreprise devaient être la pièce majeure pour la protection du niveau de vie des personnes en emploi. Enfin, l’épargne individuelle (par exemple les REER) constitue le troisième étage.
Nécessaire réforme
Même s’il a réussi à réduire fortement la pauvreté chez les personnes âgées au cours des dernières décennies et même si la lutte contre la pauvreté chez les personnes âgées demeure une priorité collective, ce système doit être réformé pour permettre aux jeunes d’avoir de meilleurs revenus à la retraite tout en protégeant les retraités actuels et futurs. Les réformes dans ce domaine sont toujours longues à implanter, souvent plus de 30 ans, car les pièces du système sont interdépendantes. C’est pourquoi il faut en débattre maintenant.
Pourquoi une réforme? D’abord, parce que les revenus générés par le RRQ et le RPC sont insuffisants. À 65 ans, une personne qui a travaillé toute sa vie peut espérer une pension maximale de 11 520 $, ou 960 $ par mois. Mais dans les faits, très peu de gens ont droit au maximum. En 2008, la pension moyenne du RRQ était d’environ 5400 $, ce qui est très maigre. C’est pourquoi près de la moitié des retraités québécois et 34 % des Canadiens reçoivent le Supplément, devenu incontournable. Aussi, la faiblesse du RRQ-RPC crée certaines iniquités. Notamment entre les travailleurs à bas salaire et les personnes qui n’ont pas travaillé.
Ces dernières voient leur revenu augmenter à l’âge de 65 ans à un niveau qui s’approche des revenus de retraite des travailleurs à faibles revenus, et ce, parce que le taux de remplacement du RRQ-RPC (25 %) est trop faible. Il est également inéquitable pour les travailleurs autonomes à faible revenu qui contribuent doublement au régime. En somme, le RRQ-RPC produit une pension publique démesurément faible en comparaison de celles des régimes publics similaires dans le monde. Dans ce contexte, les régimes fédéraux sont indispensables pour empêcher ceux qui n’ont pas de régimes complémentaires de tomber dans la pauvreté.
Iniquités
Il faut revoir le système parce que les régimes complémentaires de retraite sont en crise. Même si plusieurs futurs retraités en bénéficieront, cette source de revenus se tarira car la participation à ces régimes (mesurée en proportion des emplois) est en baisse. En 2010, seulement 38,6 % des personnes employées au Québec et 35,3 % au Canada cotisent à de tels régimes. Ils ne disparaîtront pas complètement, mais ils se transformeront progressivement en régimes à cotisations déterminées qui s’apparentent davantage à des REER.
Les jeunes générations ne pourront donc plus compter sur de bons régimes complémentaires à prestations déterminées. Il faut dire que les entreprises privées éprouvent d’énormes difficultés à en assurer la viabilité. Ils sont devenus des boulets pour celles qui doivent concurrencer des entreprises étrangères qui n’ont souvent pas à soutenir le même fardeau. En revanche, les régimes complémentaires du secteur public n’ont pas les mêmes contraintes que celles du secteur privé. Ils sont garantis en partie par les taxes et les impôts.
D’où des iniquités perçues croissantes dans la population: pourquoi un fonctionnaire recevrait-il une «telle» pension alors que le travailleur d’une entreprise privée voit sa pension menacée, voire réduite à cause des problèmes financiers de son employeur? Et que dire des travailleurs qui ne participent à aucun régime d’entreprise et des travailleurs autonomes qui se désolent en se comparant aux retraités du secteur public?
Utopie de l’épargne personnelle
Si les jeunes ne peuvent plus compter sur les régimes complémentaires, ils ne pourront pas plus s’appuyer sur leur épargne personnelle. En effet, il est utopique de penser que l’épargne individuelle (via les REER ou autre instrument) pourrait devenir pour tous les individus le pilier du système de la sécurité économique à la retraite. Elle peut tout au plus constituer un complément. L’importance du nombre de personnes âgées qui reçoivent le Supplément en témoigne. Dans le contexte actuel où de nombreuses familles ont de la difficulté à joindre les deux bouts, comment peut-on penser qu’elles réussiront à mettre suffisamment d’argent de côté?
Avec la faiblesse des taux de rendement sur l’épargne, qui sont à peu près nuls, il faudrait épargner annuellement des proportions gigantesques de ces revenus pour espérer des revenus de retraite décents. Si certains réussissent à le faire, ce n’est pas le cas de la majorité. Les gouvernements peuvent bien tenter d’obliger les gens à épargner pour la retraite, mais leurs dettes privées augmenteront. Par ailleurs, régulièrement, les aléas des marchés financiers ainsi que les risques d’inflation viennent fragiliser et amputer la valeur réelle des épargnes en vue de la retraite.
Créer de nouveaux problèmes
Dans ce contexte de crise annoncée, le gouvernement fédéral ne peut modifier les paramètres de la Sécurité de vieillesse et du Supplément sans créer d’autres problèmes. S’il repousse l’âge normal de la retraite de 65 à 67 ans, il devra le faire très lentement et surtout, il devra s’assurer qu’il y a des emplois disponibles pour les personnes âgées qui désirent travailler, sinon elles pourraient se retrouver à l’aide sociale. Or, actuellement, au Canada, 3,3 chômeurs recherchent activement du travail pour chaque poste vacant (c’est 6,1 au Québec).
Le gouvernement pourrait décider de réduire le seuil de revenu à partir duquel, depuis 1989, il récupère par l’impôt la SV pour les personnes qui ont un revenu supérieur à 70 000 $. Il pourrait aussi décider d’abandonner l’indexation de la Sécurité à la vieillesse. Mais toutes ces économies seront faibles ou, si elles sont importantes, c’est qu’elles pourraient compromettre les gains réalisés en matière de lutte contre la pauvreté chez les personnes âgées.
En fait, les réformes au chapitre de la SV et du SRG, si réformes il devait y avoir, doivent suivre et non précéder une révision du système. Il faut le répéter, le problème fondamental pour les jeunes, c’est la faiblesse du régime public contributif, le RRQ-RPC, et la faiblesse des régimes complémentaires. Ce n’est pas l’équilibre budgétaire que l’on peut atteindre de bien d’autres manières.
On peut lire le texte complet (avec tous les hyperliens) en allant sur le site du quotidien Le Devoir.
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