L’auteur invité est Michael Piore, interviewé par Clotilde de Gastines et Claude Emmanuel Triomphe, de Metis correspondances européennes du travail.
Aux Etats-Unis, la situation sociale est grave, mais pas explosive malgré l’extension de la pauvreté, du chômage et de l’endettement des ménages. Michael Piore, économiste au Massachusetts Institute of Technology de Boston, décrypte les contestations actuelles comme Occupy Wall Street et dénonce le bilan décevant du président Obama.
Quelle est la situation sociale aux États-Unis aujourd’hui ?
Sur les trente dernières années, les écarts de revenus se sont creusés. La classe moyenne a décroché face à l’envol des salaires du top. Les chiffres sont choquants. La pauvreté s’est étendue avec la crise de 2,6%, elle touche 45 millions de personnes.
Malgré cela, persiste un sentiment général de progrès social. Parce que la structure sociale du pays a connu une véritable révolution au cours de ces trois décennies. Les populations traditionnellement pauvres ont connu une forte progression de leurs revenus : les Afro-américains, les minorités ethniques, des immigrés, les femmes et les handicapés. Les personnes âgées également sont moins touchées par la pauvreté que la génération précédente.
Au début de la crise, l’OIT expliquait que la crise financière découlait en partie d’une crise sociale cachée ? L’administration aurait choisit d’offrir des facilités d’emprunt à la population pour compenser la compression des salaires.
C’est très controversé. D’une part, les conditions d’emploi sur le marché du travail se sont détériorées, mais il existe un salaire minimum depuis les années 80. Il existe aussi un programme de redistribution substantiel, intitulé Earned Income tax credit (EITC ou EIC). Les individus ou les familles qui gagnent des bas salaires, peuvent bénéficier d’exemption d’impôts, voir de complément salarial. C’est une manière de ne pas augmenter les cotisations sociales et d’inciter à travailler. C’est une forme de protection sociale restreinte, mais efficace. Il existe aussi un programme alimentaire, qui distribue des coupons d’achat de produits alimentaires (Food Stamp program). Ainsi, les choses sont moins terribles qu’à première vue. (NB : ce programme concerne 40 millions de personnes)
Est-ce que la contestation monte aux Etats-Unis ? Occupy Wall Street est-il un mouvement de fond qui porte des revendications sociales fortes ? Ou bien est-il minoritaire ?
Le mouvement Occupy est difficile à interpréter, car il n’a ni programme, ni propositions politiques claires. Les organisateurs eux-mêmes ont été dépassés par l’ampleur du mouvement. Personne ne sait vraiment ce qu’il faut en faire.
Dans le pays, aucun groupe contestataire vraiment puissant ne propose d’alternative.
Les syndicats ont rejoint les manifestants d’Occupy à plusieurs occasions. Vont-ils unir leurs forces ? De manière générale, dans quel état est le syndicalisme aux Etats-Unis ?
Les syndicats ont en effet rejoint Occupy, qui devrait les laisser mener la danse. En fait, les événements récents qui ont secoué le secteur public sont beaucoup plus importants qu’Occupy Wall Street. Des conflits majeurs se nouent dans le public, avec des manifestations et des grèves. Le secteur public subi de violentes attaques. Le gouverneur de l’Ohio voulait par exemple restreindre la convention collective de ses fonctionnaires et limiter leur droit de grève. Mais, à l’appel des syndicats 61% des électeurs de l’État ont rejeté ce projet par referendum. Le secteur public sait se défendre. Le taux de syndicalisation a beau être bas à 7% – soit 3 ou 4% dans le secteur privé, il est assez élevé dans le public. Si les syndicats ont décliné à cause de la baisse du nombre d’adhérents, ils ont toujours une grande capacité à lever des fonds. D’autres organisations de gauche sont très efficaces, comme les Afro-Américains et les retraités.
L’assurance maladie, le plan emploi, les emplois verts font partie des mesures-phares sur l’emploi et le social de la présidence Obama. Où en sont ces réformes ? La majorité républicaine au Congrès est-elle un obstacle ?
La situation politique est critique : rien ne progresse. Obama a beaucoup déçu. Il est beaucoup plus libéral que ne le présageaient ses promesses électorales. Il n’envisage pas de New Deal. Il n’en a jamais eu l’intention. Quand il a nommé Timothy Geithner au poste de secrétaire du Trésor, on a compris que ce serait le statu quo.
Le plan Emploi par exemple propose seulement des mesures négligeables pour éviter que la situation n’empire. Les emplois verts ne sont pas au centre de ce plan. D’ailleurs il ne s’agit pas vraiment d’emploi dans ce programme. L’administration et Obama se sont plutôt lancés dans un programme énergétique et de politique environnementale. Cela a créé une énorme controverse au niveau local entre les syndicats, les travailleurs de la construction, les communautés les plus pauvres pour savoir à qui reviendraient ces emplois, qui serait prioritaire, quelles compétences, etc.
Obama a évité de prendre des décisions. Il a tenté une réforme fiscale peu courageuse, que les Républicains ont rejetée. Il a raté l’opportunité de limiter la hausse des plus hauts revenus et l’influence économique des services financiers. Ils contrôlent 70% de l’économie, jusqu’aux services de santé et à l’éducation supérieure.
Quelle vision les Américains ont-ils de la crise européenne ?
J’ai une vision biaisée, car nous en parlons tous les jours entre universitaires. Cela dit, pour l’Américain moyen, l’Europe est difficile à comprendre. Primo : on a du mal à imaginer que la création d’une monnaie unique ait pu avoir lieu sans une construction politique solide. Secundo : il est incroyable de voir avec quelle légèreté s’est fait l’élargissement à l’Est. Tertio : le déséquilibre entre la régulation sociale forte, et la régulation financière faible nous étonne beaucoup. Pour autant, les débats autour des modèles sociaux et des cures d’austérité n’émeuvent pas vraiment.
Pour lire le texte original, on va sur le site de Metis, correspondances européennes du travail.
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