L’économiste Pierre Gouin et moi avons chiffré, dans un rapport de recherche publié par l’IREC, la valeur des services publics donnés à la population du Québec. En 2007-2008, ces services ont représenté 128,1 milliards $. C’est 37 312 $ par ménage ou 16 668 $ par individu, enfants compris. Il s’agit d’un montant appréciable qui représente l’équivalent de 68% des revenus gagnés par les Québécois.
Si, d’un côté, nous payons des impôts et des taxes, nous recevons en retour des services. Notre recherche ne tient pas compte du multiplicateur keynésien et n’évalue pas combien le même service coûterait dans le secteur privé. Toutes nos données proviennent de Statistique Canada et portent sur l’année 2007-2008, la plus récente pour les données révisées. La méthode retenue est celle des économistes chercheurs Hugh Mackenzie et Richard Shillington qui ont mené une étude semblable pour l’ensemble du Canada pour le Centre canadien de politiques alternatives (L’aubaine discrète du Canada – Les avantages tirés des services public, avril 2009, 41p.).
Pour obtenir la valeur totale des services, nous avons additionné les dépenses locales, provinciales et la part dépensée par le fédéral au Québec. Nous ne calculons pas les intérêts payés sur la dette, mais le reste des dépenses est comptabilisé comme services publics.
On y retrouve les services sociaux comme l’assurance-emploi, les CPE ou les prestations de retraites, la santé, l’éducation, le transport, la sécurité et l’environnement. Le poste le plus controversé est l’aide aux entreprises. Bien allouée, elle peut augmenter l’emploi et représenter un service pour les ménages. Si elle a seulement pour effet d’accroître les profits, ce n’est plus alors un service aux ménages.
Nous avons aussi calculé qui dans la population bénéficie des services publics. Nous avons formé cinq quintiles avec les ménages québécois, pour constater que tout le monde profite de ces services. Par exemple, un individu du cinquième quintile, le plus riche, reçoit en moyenne 14 732 $ en services.
De plus, nous constatons que les services publics permettent une redistribution de la richesse. Par exemple un individu du premier quintile reçoit en moyenne 27 483 $ en services, soit 10 050 $ de plus que celui du deuxième quintile.
Pour estimer la distribution des services, nous avons lié chaque sous-catégorie de dépense à une variable disponible dans les micro-données de Statistique Canada. Par exemple, nous pouvions lier directement les prestations d’assurance-emploi avec les individus qui en reçoivent. Dans d’autres cas, nous avons pris la variable la plus corrélée possible. Par exemple, nous retenons le nombre de visites à l’hôpital pour ventiler les soins hospitaliers. Enfin, lorsqu’il n’est pas possible d’attribuer la dépense à des individus en particulier, comme les dépenses en sécurité, nous l’avons distribué au prorata de la population.
L’aspect redistributif des services publics s’observe entre les sexes, les femmes recevant en moyenne 1 200 $ de plus que les hommes, alors que leurs revenus totaux représentent en moyenne seulement 71,6% de ceux des hommes.
En lien avec les dépenses, nous avons calculé le taux global d’imposition, qui comprend toutes les taxes, cotisations et impôts des paliers provincial et fédéral. Il est de 29,7% et est progressif. Pour le 1% des ménages les plus riches, il s’établit à 37,4%, un pourcentage pas très éloigné du taux moyen. On est loin du mythe selon lequel la moitié de nos revenus iraient à l’État!
Au cours de la dernière décennie, les différents gouvernements, tant au fédéral qu’au provincial, ont procédé à des baisses d’impôts qui ont réduit les prestations de services publics. Ces compressions sont justifiées par les économies d’impôt, sans rappeler la diminution des dépenses publiques qui en résulte.
Le problème est que les baisses d’impôts et de taxes profitent davantage aux mieux nantis, alors que les réductions de services touchent davantage les ménages à faibles revenus. L’effet net est une réduction importante du rôle de redistribution de l’État. Par exemple, les baisses entre 1999 et 2007 font qu’un ménage du premier quintile verse 226 $ de moins en impôts et taxes, mais reçoit 2 659 $ de moins en services. L’impact net représente une perte 2 433 $. Les ménages du deuxième et troisième quintiles y perdent, alors que ceux des deux quintiles supérieurs y gagnent. Par exemple, un ménage du cinquième quintile perd 2 577 $ en services, mais est largement compensé par les gains réalisés par la baisse globale de taxation, qui s’élève à 7 015 $. Au net, ce ménage du quintile le plus riche sort avec 4 438$ de plus dans leurs poches.
Notre recherche a permis de chiffrer la valeur des services publics et de voir comment ils sont distribués. Nous avons également évalué comment les baisses d’impôts et de services publics de la dernière décennie ont grandement affecté le rôle de redistribution de l’État.
C’est très intéressant de voir comment l’État par les services publics est le plus grand redistributeur de la richesse. Le plus révélateur me semble être l’effet des baisses d’impôts qui profitent davantage aux ménages aisés qui entraînent une baisse des services publics qui affectent les ménages à faible revenus. Enfin, cela détruit aussi le mythe que ce serait mieux si c’était fait par le privé. Merci à Gabriel Sainte-Marie et à l’IREC