L’auteur invité est Guillaume Duval, rédacteur-en-chef d’Alternatives Economiques.
Le chômage recule aux États-Unis alors qu’il s’accroit en Europe. Jusqu’à quand les Européens tolèreront-ils des politiques aux résultats aussi catastrophiques ? Non seulement pour le bien être des populations mais aussi pour la stabilité sociale et politique du continent.
La crise actuelle est d’abord une crise américaine : elle a été déclenchée par les folies engendrées aux États-Unis par la dérégulation financière en matière de crédits subprime et les déséquilibres macroéconomiques massifs qui s’étaient accumulés outre-Atlantique avec notamment un endettement excessif des ménages (au-delà des seuls très pauvres, victimes des subprime) et des déséquilibres extérieurs de plus en plus insoutenables. Bien que l’Europe n’affiche pas, et de loin, des déséquilibres aussi considérables, la crise s’y était rapidement transmise à cause des bêtises commises par les institutions financières du vieux continent qui avaient joué elles aussi à fond le jeu dangereux de la titrisation, des produits financiers complexes et des paradis fiscaux pour accroître plus rapidement les revenus de leurs traders et de leurs dirigeants.
Dans un premier temps cette crise a donc logiquement frappé les États-Unis plus violemment que l’Europe, amenant en l’espace de quelques mois le chômage qui n’était encore que de 4,4 % en 2007 (contre 7,3 % à son minimum dans la zone euro) à 9,9 % de la population active fin 2009. Un niveau équivalent à celui rencontré alors en Europe. Mais depuis lors, ce niveau a continué à monter en Europe, malgré une brève accalmie fin 2010 – début 2011, pour atteindre 10,7 % dans la zone euro en janvier dernier. Alors qu’il redescendait au contraire à 8,3 % aux États-Unis. Cela reste un niveau très élevé pour un pays où la protection sociale est beaucoup plus limitée qu’en Europe. Et les États-Unis sont très loin d’être tirés d’affaire mais force est de constater que, malgré les blocages politiques entre Républicains et démocrates, une action relativement constante a été menée depuis 2009 outre Atlantique pour lutter contre le fléau du chômage.
Tandis qu’en Europe, malgré des problèmes structurels nettement plus limités au départ, l’action menée par les pouvoirs publics européens, sous la houlette principalement d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, le fameux duo Merkozy, a abouti au contraire à amplifier le chômage pour l’amener à battre désormais largement les records enregistrés en 2009-2010. Son niveau atteint de nouveau les sommets des années 1990 lorsque la mauvaise gestion des suites de la récession de 1993 avait déjà amené l’Europe à une hausse durable du chômage à cause, une fois encore, d’une austérité budgétaire généralisée et excessive menée à l’époque pour se conformer aux « critères de Maastricht » en vue de l’entrée dans la monnaie unique.
Le constat d’un tel désastre n’empêche pas cependant pour l’instant les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, réunis en sommet les 1er et 2 mars, de continuer à s’interroger principalement, ou plutôt quasi exclusivement, sur les moyens de renforcer encore et de pérenniser la politique d’austérité budgétaire généralisée et excessive qui a conduit à un tel fiasco. Comprenne qui pourra…
Si la montée du chômage devait au final conduire à des dérapages sociaux et politiques graves en Europe, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel porteraient dans ces dérives une responsabilité beaucoup plus lourde encore que celles de leurs lointains prédécesseurs Pierre Laval et Heinrich Brüning, qui, contrairement à Franklin D. Roosevelt aux États-Unis, avaient suivi une voie analogue à la stratégie Merkozy dans les années 1930 : eux, au moins, ne disposaient pas encore de l’expérience in vivo des extrémités auxquelles peuvent conduire des politiques déflationnistes en période de crise… Nous n’en sommes pas là, bien sûr, et le contexte est heureusement très différent, les fortes tensions sociales et politiques d’ores et déjà perceptibles en Grèce, en Hongrie ou en Roumanie mais aussi en Espagne ou aux Pays-Bas, amènent cependant à redouter que le point de rupture puisse être plus proche qu’on ne le croit souvent. Et dans ce cas, comme dans les années 1930, il n’y guère de raisons de penser que ce seraient les forces progressistes qui tireraient les marrons du feu…
Pour lire le texte original (avec graphique), on va sur le site du magazine Alternatives Economiques
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