Au début du mois de février, l’Assemblée nationale votait à l’unanimité une motion déposée par la députée Louise Beaudoin pour que le gouvernement du Québec poursuive la lutte aux changements climatiques et la mise en œuvre du protocole de Kyoto dans sa juridiction, malgré l’annonce du retrait du Canada. Comme dans une multitude d’autres domaines, le gouvernement fédéral va à l’encontre de la volonté de la grande majorité des Québécois. Mais cette situation ne fait que confirmer que l’administration conservatrice de Stephen Harper fait preuve d’irresponsabilité grave, en infraction contre une loi fédérale qui force le maintien du Protocole de Kyoto, en choisissant le développement des sables bitumineux au détriment de la lutte contre les changements climatiques.
Les coûts de la politique en faveur des sables bitumineux
Les impacts humains, environnementaux et financiers qui découlent de la politique fédérale en faveur du développement des sables bitumineux sont colossaux. Dans une note d’intervention que j’ai réalisé avec Pierre Langlois, on démontrait qu’au total, pour 2008 seulement, les subventions du gouvernement fédéral pour le développement de l’industrie pétrolière (principalement pour le soutien à l’industrie des sables bitumineux de l’Alberta) s’élevait à 1,4 milliard $. Dans la mesure où l’on prévoit multiplier par deux la production pétrolière dérivée des sables bitumineux d’ici 2020 (mais à la vitesse où vont les choses on parle maintenant de tripler la production), le coût des dépenses fiscales fédérales devrait doubler d’ici cette date. On peut donc estimer que sur une dizaine d’année, le coût des subventions fédérales au développement des sables bitumineux s’élèverait à 21,7 milliards $, dont une part attribuable aux contribuables québécois de plus de 5 milliards $.
Mais les coûts environnementaux sont pires, même si l’industrie du pétrole fait tout pour le nier. Récemment, elle a même débauché Andrew Weaver, un chercheur en climatologie de l’Université de Victoria, pour remettre en cause l’énoncé selon lequel le pétrole non conventionnel issu des sables bitumineux émettait davantage de GES que le pétrole conventionnel. Dans un article paru dans la revue Nature Climate Change (et non pas le prestigieux magazine Nature comme le prétend le fil de presse), il prétend que si tous les hydrocarbures des sables bitumineux étaient extraits et consumés, le dioxyde de carbone relâché ferait augmenter les températures mondiales d’environ 0,36oC ou encore à 0,03oC si on se limitait aux seules réserves commercialement viables de pétrole des sables bitumineux. Autrement dit, les impacts sur le climat seraient négligeables ! Mais le dernier paragraphe de l’article cité précise ceci : « L’analyse de M. Weaver ne compte que les émissions provenant de la combustion des hydrocarbures. Elle ne tient pas compte des gaz à effet de serre émis lors de la production de la ressource, ce qui reviendrait à doubler ces émissions. » !!!
Ces agissements du lobby du pétrole sont une copie conforme de ceux de l’industrie du tabac qui, pendant des décennies, ont caché et falsifié les études pour éviter de faire connaître les impacts de la consommation du tabac sur la santé humaine. C’est instinctivement la réaction du spécialiste du climat Bill McKibben qui, en réponse au texte de Weaver, déclare : « True, smoking six packs a day is going to kill you. But if you want to make certain you die, smoke a hundred packs a day. And if you really want to make sure you die tomorrow, lie down in front of a train. ».
Le blogueur de Climate Progress, Joe Romm, explique aussi les erreurs d’interprétation de l’étude de Weaver dans un billet récent. Peut-être, répond-il, la consommation de toutes les réserves de sables bitumineux de l’Alberta ne représenteraient, à elles seules, qu’une partie seulement des hausses de température qui risquent de déréguler le climat de la planète. Comme le montre le graphique suivant, lorsqu’on les compare avec le charbon et les gaz non conventionnels, les impacts climatiques des sables bitumineux sont relativement faibles.
Mais le problème auquel nous sommes confrontés n’est pas de favoriser l’une ou l’autre de ces sources d’énergie fossiles : c’est de réduire notre dépendance aux énergies fossiles alors qu’il nous reste une dizaine d’années avant que la situation climatique ait atteint un point de non-retour. Alors que l’étude de Weaver affirme que l’effet sur la hausse de température des sables bitumineux ne serait que de 0,03oC, il faut savoir que le réchauffement actuel dû aux énergies fossiles est déjà 15 fois supérieurs à cette estimation. Et on ne tient même pas compte des émissions supplémentaires de CO2 qui découlent de l’extraction, de la transformation et du raffinage des sables bitumineux. James Hansen, Bill McKibben et Joe Romm ont plutôt montré (voir le graphique suivant) que le dépassement de la limite de 450 ppm de CO2 dans l’atmosphère (correspondant à la cible de 2oC de plus que la température préindustrielle) serait dépassée si nous consommions les réserves récupérables de pétrole non conventionnel de l’Alberta. À elles seules, les 170 milliards de barils de pétrole économiquement récupérables représentent approximativement près de 70 GtCO2 ou l’équivalent de 35 ppm. Mais on sait que les réserves récupérables sont destinées à augmenter à mesure que les prix augmentent et que les technologies de récupération (tirées par les prix du marché) se développent rapidement.
« If North American and international policymakers wish to limit global warming to less than 2 °C they will clearly need to put in place measures that ensure a rapid transition of global energy systems to non-greenhouse-gas-emitting sources, while avoiding commitments to new infrastructure supporting dependence on fossil fuels. » Qui a écrit ça ? C’est le chercheur climatique Andrew Weaver, mentionné plus haut ! Je crois que c’est cette phrase qu’il faut retenir de son article et c’est pourquoi il faut aujourd’hui s’opposer aux projets de pipelines pour exporter les sables bitumineux.
Dans la 2e partie de ce billet, on verra que le Canada a fait son choix, et que ce n’est pas celui pour le climat.
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