Les auteurs invités sont Benjamin Vignolles, Gabriel Zucman, de Regards croisés sur l’économie.
Ce texte est l’introduction au numéro de la revue Regards croisés sur l’économie, dont on peut consulter la table des matières en cliquant ici.
Depuis cinq ans, la revue Regards croisés sur l’économie vise à combler le fossé entre la recherche économique et le débat public. Ses articles rendent compte des dernières avancées des sciences sociales et de leurs implications concrètes pour les citoyens. Animée par un collectif d’étudiants, de jeunes chercheurs et d’experts, la revue a un objectif : éclairer le débat public sans s’y substituer ; une méthode : faire appel à des spécialistes s’exprimant dans un langage accessible à tous ; une ambition : montrer par l’exemple que l’économie offre des clés de compréhension indispensables.
La démarche continue d’étonner. On ne compte plus les commentateurs proclamant doctement la « faillite » des économistes. Depuis la crise, les critiques ont redoublé.
L’économie serait déconnectée des réalités. Science « lugubre », austère et largement spéculative, elle aurait été incapable de prévoir la crise. Elle servirait de paravent idéologique aux politiques d’austérité et au démantèlement de l’État-providence. Dans le fond, l’économie ne serait qu’une vaste entreprise de glorification des marchés. En un mot : du charlatanisme.
Il est indéniable que la crise a mis au jour des errements. Que certains économistes ont eu tendance à prendre leurs modèles pour la réalité. Que l’idéologie se niche parfois derrière les constructions savantes. Que les outils mis en oeuvre simplifient parfois à outrance la complexité du monde social.
Mais ceux qui s’arrêtent à ces insuffisances – réelles et importantes – pour jeter l’opprobre sur la discipline oublient deux choses.
Ils oublient d’abord que l’économie est une science jeune : le grand oeuvre de Keynes, l’inventeur de la macroéconomie, n’a pas quatre-vingts ans. C’est bien peu à l’échelle de l’histoire de la pensée. L’économie est encore une vaste terra incognita ; inévitablement, les savoirs et les outils d’aujourd’hui apparaîtront bien rudimentaires aux chercheurs de demain. Ce n’est pas de moins d’économistes dont la société a besoin, mais de davantage de recherches pour renouveler les connaissances.
Or les détracteurs de l’économie oublient, par ailleurs, que le renouvellement des connaissances a déjà commencé.
La frontière de la science est tout sauf un corpus figé de vieux principes : c’est le lieu d’une remise en cause incessante. Cela fait bien longtemps, par exemple, que le dogme de l’infaillibilité des marchés a été abandonné : l’essentiel de la recherche théorique depuis trente ans consiste à montrer concrètement comment les marchés peuvent échouer et comment leur fonctionnement peut être amélioré, par exemple par l’intervention publique.
Cette remise en cause a été accélérée par la crise. Les macroéconomistes qui se glorifiaient d’avoir résolu le problème des dépressions économiques ont remis leur ouvrage sur le métier. De nouvelles méthodes empiriques apparaissent, portant un intérêt croissant à l’établissement rigoureux de relations de causalité. L’économie s’ouvre à de nouvelles disciplines, comme la psychologie ou les neurosciences, dont elle incorpore les acquis pour modéliser plus finement les comportements humains. Sur le modèle de ce qui se passe en médecine, une nouvelle génération de chercheurs conduit des expériences randomisées, permettant d’identifier les politiques qui marchent et celles qui ne marchent pas. Des historiens se plongent dans les archives pour percer le secret des crises passées et en tirer des éclairages pour le présent.
Alors, faut-il repenser l’économie ? Oui, mille fois ! Mais, à l’encontre de bien des poncifs, nous partageons la conviction que, à la frontière de la discipline, ce travail a bel et bien commencé.
Pour célébrer ses cinq ans et à l’approche de l’élection présidentielle de mai 2012, Regards croisés sur l’économie a voulu transporter ses lecteurs sur cette frontière et leur faire partager le bouillonnement de la recherche. Elle a demandé aux lauréats du prix du Meilleur jeune économiste, décerné chaque année par Le Monde et le Cercle des économistes, de présenter de manière pédagogique leurs travaux et les implications concrètes qu’ils ont pour les politiques publiques.
Tous ont à coeur d’offrir une lecture éclairée de la société pour contribuer à l’amélioration des conditions de vie. Mais ils savent, comme tout scientifique digne de ce nom, les limites de leur savoir. C’est cette démarche novatrice, ouverte au monde, mais consciente de ses limites, dont la revue entend réaliser « la défense et l’illustration » dans cet ouvrage.
Chaque chapitre est consacré aux travaux d’un lauréat particulier et peut se lire indépendamment des autres. Des pistes bibliographiques sont mentionnées en fin de chapitre pour les lecteurs désireux de consulter directement les travaux de recherche des lauréats, publiés dans les meilleures revues internationales. Pour l’exercice original que nous leur avons demandé – un travail de vulgarisation qui sort des sentiers du monde académique –, certains lauréats ont souhaité être guidés par la rédaction de Regards croisés sur l’économie. Nous retranscrivons alors les entretiens qu’ils nous ont accordés sous forme de questions/réponses. Tous les chapitres ont le même but : fournir un panorama des recherches récentes menées par les lauréats, accessible, étayé et relié aux grands enjeux de politique publique.
Nous avons, dans le même esprit, interrogé certains économistes « nominés » pour l’obtention du même prix Le Monde/Cercle des économistes et reproduisons les entretiens qu’ils nous ont accordés sous forme d’encadrés qui s’insèrent entre les chapitres.
Pour lire le texte original, on va sur le site de la revue de Regards croisés de l’économie.
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