L’auteur invité est Darwin, du blogue Jeanne Émard
Dans un de mes billets précédents, L’âge de la retraite, j’ai montré, au moyen d’une étude de Statistique Canada, qu’il est inexact de prétendre que la durée de la retraite est de plus en plus longue. Pourtant, on se sert régulièrement de cet argument pour tenter de justifier la «nécessité» de diminuer ou de retarder les prestations sociales destinées à nos aînés. Et on avance bien d’autres arguments douteux…
Autres arguments
L’équité intergénérationnelle est un des arguments les plus utilisés par la droite pour «justifier» la diminution des prestations destinées aux personnes âgées. Elle se sert de cet argument aussi bien pour appuyer la baisse des services publics et de la dette, (même si cette utilisation va à l’encontre de celle conçue au Sommet de la Terre de Rio et qui touche essentiellement les questions environnementales et même si il est inéquitable générationnellement de ne pas offrir aux jeunes les mêmes services publics dont les plus âgés ont pu bénéficier), la hausse des droits de scolarité (même s’il est flagrant que de faire payer plus aux jeunes et de risquer une baisse d’accessibilité à l’université est tout sauf équitable pour les jeunes) que pour justifier ses attaques contre les programmes de retraite :
«À moins que le gouvernement n’agisse rapidement, les plus jeunes devront choisir entre des hausses d’impôt, des déficits importants ou des coupes profondes dans les programmes sociaux, a fait valoir Diane Finley.»
Un autre argument très utilisé est qu’on n’aurait pas le choix… Ah, l’absence de choix! C’était l’arme favorite de Margaret Thatcher («There is no alternative») pour justifier ses politiques néolibérales, comme c’est toujours ce que prétendent de nos jours les promoteurs de l’austérité en Europe comme ailleurs. Et c’est bien sûr un des arguments utilisés pour diminuer les prestations du programme de Sécurité de la vieillesse, comme on peut le lire dans l’article de La Presse intitulé Pensions: la réforme est inévitable, estime la ministre Finley :
«Les choix qui s’offrent aux Canadiens sont donc simples, selon la ministre: augmenter le fardeau fiscal des travailleurs, financer le programme de Sécurité de la vieillesse en accumulant les déficits ou adopter une réforme pour limiter la hausse des coûts du programme. Selon la ministre, il est de loin préférable de choisir la troisième option »
Finalement, et c’est mon argument préféré, on entend souvent dire qu’on doit diminuer la couverture de ces programmes sociaux pour… les protéger! Pas mal quand même comme contradiction!
« J’ai dit à plusieurs reprises qu’on va protéger les programmes pour nos aînés et pour ceux et celles qui sont près de la retraite dans le budget, a répondu le premier ministre Harper. En même temps, nous nous assurons que le système demeure viable pour les générations à venir. C’est notre responsabilité, pas seulement aux aînés aujourd’hui, mais aussi à notre future génération. »
Fausse prémisse
Non seulement tous ces arguments sont douteux, mais ils reposent sur la prémisse que les coûts des programmes sociaux à l’intention des personnes âgés, surtout le Programme de sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti, vont augmenter à un rythme intolérable pour les finances publiques.
Or, même en ne tenant pas compte de l’étude de Statistique Canada dont j’ai parlé au début de ce billet, rien ne montre que c’est le cas, bien au contraire! Tout d’abord, le directeur parlementaire du budget (DPB), Kevin Page a publié un rapport, Viabilité financière fédérale et prestations aux aînés, en février 2012 démontrant que les programmes sociaux à l’intention des personnes âgés sont tout à fait viables, confirmant ainsi les conclusions de l’actuaire en chef sur le programme de la sécurité de la vieillesse. Comme le ministre des Finances, Jim Flaherty, a remis en question les calculs de Kevin Page, ce dernier a même écrit aux députés et aux sénateurs pour leur expliquer ses calculs et remettre les pendules à l’heure. Il réaffirmait ses conclusions (page 3) :
«le DPB estime que la structure financière du gouvernement fédéral offre maintenant suffisamment de latitude pour absorber la hausse des coûts du programme fédéral de prestations aux aînés attribuable au vieillissement de la population.»
Et cette prévision est bien normale. En effet, si on regarde le graphique suivant provenant de la page trois de ce document préparé par Paul Krugman et tiré d’une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Canada est au quatrième rang des pays de l’OCDE qui dépensent la plus faible proportion de leur PIB pour les prestations aux personnes âgés et devrait passer au troisième rang en 2060.
Comment, avec sa société vieillissante, le Canada peut-il être aussi bien placé et avoir des dépenses prévues pour 2060 qui représentent environ la moitié de celles de la moyenne de l’OCDE? La réponse est simple : même si certains ont des déficits actuariels, une partie des programmes canadiens est capitalisée (RRQ, RPC et régimes d’employés), ce qui n’est pas le cas dans tous les pays de l’OCDE :
«Dans la majorité des pays, le système public de pensions utilise les cotisations des employés et des employeurs pour financer les paiements courants aux retraités», précise M. Pinsonneault.»
En plus, la population canadienne vieillit moins qu’en Europe en raison de la plus forte immigration. Mais, peu importe les raisons, toutes les études convergent : la situation du Canada et du Québec est bien meilleure que celles des autres pays de l’OCDE et nos programmes de prestations aux personnes âgés ne sont pas en danger.
Et alors…
On semble donc vouloir nous convaincre qu’on n’a pas le choix, qu’on doit retarder le versement des prestations de retraite, même si toutes les études montrent qu’il n’y aucune obligation dans ce sens. A-t-on vraiment analysé les conséquences d’une telle décision? Qui subirait le plus ces conséquences?
Tout d’abord les femmes, qui ont eu historiquement une moins forte présence sur le marché du travail et des revenus bien moins élevés que les hommes. Ensuite, les travailleurs manuels dont les exigences de l’emploi ne permettent pas de travailler aussi longtemps que les professionnels et autres cols blanc. Puis, les personnes qui, pour toutes sortes de raisons sont prestataires de l’aide sociale et qui devront rester dans la grande pauvreté deux années de plus.
On voit donc clairement qu’il n’y aucun motif rationnel pour adopter de telles mesures. Il est difficile de ne pas conclure que les conservateurs ne mettent pas ces mesures de l’avant uniquement pour pouvoir dégager une marge de manœuvre qui leur permettra de réorienter le rôle de l’État en fonction de leur idéologie néolibérale : baisse des impôts aux entreprises et aux particuliers, aides aux entreprises, etc. Je n’irai pas plus loin là-dessus, ayant décrit en détail ce processus dans un autre billet, Affamer la bête ou la récupérer?
Pour lire le texte original, avec les nombreux hyperliens, on va sur le blogue de l’auteur
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