L’auteur invité, Pierre-André Julien, est professeur émérite à l’Université du Québec à Trois-Rivières.
Bien que les signaux soient contradictoires, plusieurs données récentes semblent montrer que la récession tirerait à sa fin. Mais, ce serait se faire des illusions de penser que les multiples mesures gouvernementales et les efforts d’assainissement dans les grandes entreprises vont mettre un terme à la crise dont les causes remontent à plusieurs années. C’est comme la crise des années 1980 qui a suivi les hausses spectaculaires de 1973 et 1975 du prix du pétrole; celle-ci s’expliquait avant tout par la fin du système traditionnel d’organisation du travail dans les grandes entreprises, soutenu par l’intervention systématique de l’État et une consommation massive de produits standardisés. Elle a demandé près de dix ans de réforme avant que l’économie finisse par redémarrer fortement.
Dans la crise actuelle, les changements fondamentaux pour mieux contrôler la spéculation financière n’ont pas encore été implantés. De plus, l’écart entre les riches et les pauvres continue à croître plombant la consommation. Enfin, le défi environnemental coûte de plus en plus cher sans qu’il commence à apporter des bénéfices notamment en création d’emplois.
Les fondements de cette dernière remontent à la déréglementation du commerce et la libéralisation des règles financières qui se sont accentuées après la récession de 1990-93. Ainsi, l’ancien économiste en chef du Fonds monétaire international, Simon Johnson, rappelait dans un récent numéro de la revue Atlantic Montly que les banquiers avaient pris le contrôle non seulement de la banque fédérale américaine de réserve, mais aussi de la trésorerie des gouvernements de Reagan et des deux Bush, sans que Clinton donne véritablement un coup de barre. Ces banquiers en profitaient pour soutenir à leurs profits la spéculation à tout crin et l’utilisation des créances à plusieurs niveaux pour ce faire, au point de masquer tous liens entre la réalité économique et les fonds spéculatifs. Cela a permis de faire passer les profits moyens de ces financiers de 16 % annuellement entre 1973 à 1985 à plus de 40 % dans les dernières années. La récente spéculation purement fictive sur le prix des maisons, avec la multiplication d’écrans faisant penser à un système de ventes pyramidales, démontre que les bonus à rendements à très court terme sans aucune mesure sur le réel poussaient les vendeurs à jouer à qui gagnerait toujours plus. Et ces comportements ont atteint, comme on le sait, la Caisse de dépôt et placement du Québec. C’est l’établissement d’un nouveau culte de la finance au point que Michael Lewis, dans son dernier livre, ne s’étonnait plus de voir se multiplier ces « menteurs de poker » (Liar’s Poker) ou ces voleurs légaux, telles les compagnies pétrolières spéculant sur les prix pour faire exploser les profits sans aucun lien avec l’évolution du marché mondial.
Le résultat est que ce marché si cher aux néo-libéraux ne joue plus aucun rôle puisqu’il relève des collusions entre petits amis et de jeux de leviers ou chaque risque s’appuie sur d’autres risques y compris internationaux. De leur côté, plusieurs commissions des valeurs mobilières ont démissionné devant l’opacité de plus en plus grande du système. Cette course aux profits sans fin explique probablement l’extension des manipulations et de la corruption comme on le voit au Québec avec l’affaire des FIER régionaux et la multiplication des Vincent Lacroix. En bref, c’est l’implantation d’un laisser-aller total avec des sommets salariaux de plusieurs dizaines de millions de dollars même pour des dirigeants de firmes en décroissance, sans compter les retraites dorées incontrôlables et qui continuent à d’épanouir.
Cette spéculation et ces manipulations éhontées doivent être comparées avec la stagnation des salaires réels de la plupart des citoyens depuis plus de dix ans. Ainsi, les salaires des riches ont passé de vingt fois à plus de 400 fois le salaire moyen entre 1980 et 2004. Cela explique le ralentissement accéléré de la demande. Celle-ci a été momentanément soutenue d’abord par la multiplication des salaires par famille, ensuite, par le crédit à tout crin, enfin par la diminution des prix pour des produits souvent de piètre qualité venant des pays à faibles salaires. Mais, ces solutions ont fini par atteindre leur maximum avec de plus en plus de mise à la retraite, l’obligation un jour de rembourser expliquant la multiplication des faillites personnelles, l’augmentation du nombre de chômeurs réels ou déguisés (les travailleurs qui ont recours aux soupes populaires) et la hausse du pétrole affectant de plus en plus le prix des produits importés. Alors que les énormes revenus des riches se concentrent sur les biens ostentatoires comme les grosses voitures, les tableaux de maître ou les monster house, et que l’État surrendetté peut de moins en moins compenser les non-achats de biens courants.
Enfin, les coûts en santé et en destruction des équilibres naturels augmentent de plus en plus rapidement, même si des gens comme Harper continuent à les nier. Le combat contre la cigarette qui donnait bonne conscience vis-à-vis des pollutions multiples ne suffit plus pour comprendre, par exemple, la multiplication de l’asthme et du cancer même chez les jeunes enfants.
Derrière toute cette longue et complexe crise, on trouve l’individualisme effréné : « après moi, le déluge! »; ce que Charles Taylor appelle la « culture de l’épanouissement de soi… soutenu par un libéralisme de neutralité ». Tout devient marchandage dans les rapports sociaux avec la disparition des règles sociales à base d’une harmonie minimale donnant toute sa pleine valeur, par exemple, à la santé, au savoir et au développement collectif.
Que faire? Il faut d’abord retourner à l’économie réelle, ensuite, contrôler systématiquement la spéculation et, enfin, utiliser le défi environnemental pour relancer l’industrie, comme promet de le faire Obama avec son plan Marshall écologique. Mais surtout, il faut revenir à des valeurs de solidarité et de responsabilité, au-delà de l’éthique qui, autant que la prison, n’empêche pas le crime. Sinon on ne fera que passer de bulles financières en bulles financières jusqu’à la révolte des classes moyennes sur lesquelles s’appuie toute démocratie. Cette crise ne serait-elle pas le moment de vérité à saisir pour repenser notre monde et nos comportements individuels et sociaux ?
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