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Le samedi 23 avril 2022

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La vérité sur la dette québécoise

L’auteur invité est Réjean Parent, président de la Centrale des syndicats du Québec

« Si l’état des finances publiques était si mauvais comment expliquer que le gouvernement emprunte à un taux de 4,6 % contre 35 à 45 % pour la Grèce? »

En lisant le texte sur l’état des finances publiques québécoises paru en début de semaine dans les quotidiens de Quebecor sous la plume de Jean-Jacques Samson et en voyant le tableau sensationnaliste l’accompagnant, je me suis dit qu’il devait y avoir bien des gens déprimés au Québec. Mais puisque la dette publique est souvent le royaume de la désinformation et se prête bien à toutes les manipulations, j’ai demandé à notre économiste, Pierre Beaulne, de nous éclairer sur ce sujet complexe. Après lecture de son analyse, j’en conclus que la situation est loin d’être aussi dramatique qu’on veut nous le faire croire. Aux lecteurs de le constater par eux-mêmes.

« La dette était de 111,5 milliards en 2004 ; elle était rendue il y a quelques jours à 245 milliards et elle augmente de 11,3 milliards par année… Les Québécois sont parmi les plus endettés des peuples, mais ils nagent dans le bonheur ! Pour l’instant. Car les seuls intérêts à payer sur la dette nous étouffent toujours un peu plus. Le service de la dette atteignait 7,8 milliards $ dans le budget de l’an dernier. Il est devenu le troisième poste budgétaire en importance… L’avenir est sombre ». Jean-Jacques Samson, directeur des pages Opinion. Le Journal de Montréal/Québec, Encart spécial du 13 mars 2012

La variation de la dette brute n’est pas dramatique

L’extrait ci-dessus est truffé de faussetés, de demi-vérités et de distorsions. D’emblée, l’auteur de la citation amalgame deux définitions de la dette : la dette brute du gouvernement du Québec et la dette totale du secteur public, en comparant les données se rapportant à l’une avec celles de l’autre. Cela revient à comparer des pommes avec des oranges. D’abord, les 111,5 milliards de 2003 ont été révisés depuis à 129 milliards, correspondant à 53,5 % du PIB, à la suite de diverses réformes qui ont élargi le nombre d’organismes inclus dans la comptabilité du gouvernement, avec comme corollaire l’ajout de leurs dettes respectives. En 2011, la dette brute atteint 173,4 milliards, soit 54,6 % du PIB. En termes de poids économique, la variation depuis 2003 n’est pas dramatique. Elle s’explique surtout par les effets de la récession.

Le poids économique de la dette du secteur public n’a guère varié depuis 2003

Quant à la dette du secteur public, elle comprend, outre la dette brute du gouvernement, la dette d’Hydro-Québec et des autres entreprises du gouvernement, des municipalités, des universités autres que l’UQ. La dette du secteur public s’établit à 234,7 milliards en 2011, soit 74 % du PIB. Elle totalisait 178,4 milliards en 2003, soit 73,9 % du PIB. Encore là, le poids économique de la dette ainsi définie n’a guère varié.

On aura remarqué notre insistance sur les mesures relatives (en proportion de la taille de l’économie). Les chiffres absolus frappent peut-être davantage l’imagination, mais les chiffres relatifs donnent une meilleure idée de la capacité d’un État à soutenir la dette publique et facilitent les comparaisons.

« Le chiffre de 245 milliards évoqué provient du « compteur de la dette » inventé par le très néolibéral Institut économique de Montréal dans le but de terroriser les petits enfants. »

Soit dit en passant, le chiffre de 245 milliards évoqué provient du « compteur de la dette » inventé par le très néolibéral Institut économique de Montréal (IEDM) dans le but de terroriser les petits enfants. Tant qu’à chercher à impressionner, l’IEDM aurait pu faire le même exercice avec la dette du gouvernement américain, qui s’élève à 15 500 milliards de dollars (15,5 suivi de douze zéros).

La part des revenus consacrée au service de la dette diminue

En ce qui a trait aux intérêts sur la dette du gouvernement, ils sont passés de 6,7 milliards en 1997-1998 à 7,8 milliards en 2011-2012. La progression en quatorze ans a été beaucoup moins forte que celle des revenus du gouvernement. En conséquence, la part des revenus consacrée au service de la dette a diminué de 18,8 % à 11,9 % au cours de cette période. Cette réduction de 6,9 points de pourcentage représente des économies annuelles de 4,8 milliards. Et effectivement le service de la dette constitue le troisième poste budgétaire, cela depuis le tournant des années 1980. Voilà toute une nouvelle !

Le Québec fait bonne figure parmi les pays de l’OCDE

Comment le Québec figure-t-il sur le plan international ? En utilisant la méthode de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), qui uniformise les éléments considérés, le professeur Louis Gill a estimé la dette publique brute du Québec à 53,8 % du PIB en 2009, comparativement à 90 % en moyenne pour l’OCDE[1]. Le gouvernement du Québec arrivait au même résultat dans une étude datée de mars 2010, sauf qu’il y rajoutait « la part de la dette du gouvernement fédéral », ce qui avait pour effet de porter la dette totale du Québec à 94,5 % du PIB. Une absurdité s’il en est. Car, à ce compte, des provinces ou des États relativement peu endettés comme l’Ontario, la Californie ou New York, se hissent au sommet du palmarès de l’endettement mondial quand on ajoute à leur dette locale la « quote-part » de la dette du gouvernement central. Personne ne calcule la dette des gouvernements de cette façon, sauf celui du Québec, pour alarmer la population. Chose certaine, ce n’est pas le tableau qu’il soumet chaque année aux autorités de réglementation des marchés financiers étrangers dans le formulaire 18-K.

Le Québec possède des actifs financiers comme le Canada

Il faut aussi ajouter qu’à la différence de la plupart des États, le Canada comme le Québec possèdent des actifs financiers importants constitués des provisions pour les régimes de retraite publics comme le RPC/RRQ ou ceux des employés des gouvernements. Comme le signalait dernièrement une étude de la Banque Nationale réalisée par l’économiste principal Marc Pinsonneault, cela contribue à réduire l’endettement brut des administrations publiques[2]. Le Canada en retire une image de marque. La dette nette de l’ensemble des administrations canadiennes, c’est-à-dire la dette brute moins les avoirs financiers, représente 36,6 % du PIB en 2012, comparativement à une moyenne de 66,7% pour l’OCDE. C’est la plus faible du G-7.

La situation enviable du Québec lui vaut des taux d’intérêt avantageux

Si l’état des finances publiques était si mauvais que certains veulent le faire croire, le Québec pourrait-il emprunter aux taux avantageux actuels ? Le taux moyen d’intérêt qui s’applique aux emprunts du gouvernement est de 4,6 % pour des échéances moyennes de 11,3 ans. C’est encore loin des 35 à 45 % exigés par les marchés financiers pour prêter à la Grèce.

Il est vrai que la dette publique augmente, mais ce n’est pas pour payer les « dépenses d’épicerie ». Les quatre cinquièmes de l’accroissement de la dette depuis la fin des années 1990 sont attribuables aux investissements engagés par le gouvernement dans ses entreprises et dans les infrastructures pour remettre en état des équipements collectifs vieillissants. L’autre cinquième s’explique par les déficits encourus ces dernières années en raison de la crise économique, mais aussi des allègements fiscaux consentis aux particuliers (950 millions en 2008) et aux entreprises (2 milliards découlant de l’abolition de la taxe sur le capital).

Au fond, les exagérations et faussetés colportées sur l’endettement public n’ont d’autre objectif que de justifier des politiques antisociales de coupes des services publics, soi-disant dans l’intérêt des générations futures. C’est une mystification. La meilleure façon de rendre service aux générations futures, c’est encore de bâtir un pays doté de services sociaux, de services éducatifs et de santé de haute qualité, d’équipements collectifs et d’infrastructures développées et bien entretenues qui vont servir de fondement social et économique solide pour la croissance future.

Pour lire le texte original, on va sur le site de L’Aut’Journal

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