Récemment, j’ai donné la parole à plusieurs auteurs invités qui se sont fait les défenseurs de mesures protectionnistes afin de corriger les effets pervers de la mondialisation actuelle. Par exemple, Gaël Giraud, chercheur au CNRS, École d’Économie de Paris, affirme que les circonstances actuelles imposeraient de développer un « protectionnisme européen raisonné ». Il propose d’imposer des barrières douanières autour de l’Union européenne qui pénaliseraient les biens, services et capitaux importés des pays qui ne respectent pas les conditions de travail « décentes » préconisées par l’OIT, qui ne respectent pas les accords internationaux de Kyoto (comme le Canada), qui tolèrent les paradis fiscaux.

Il n’est pas le seul à s’insurger contre effets pervers de la mondialisation libérale et à proposer des mesures raisonnées pour s’en protéger. Par exemple, dans le cadre de la campagne présidentielle qui devrait bientôt déboucher (nous l’espérons) sur l’élection d’un président socialiste, un groupe d’universitaires et d’économistes, regroupés au sein de l’Association Pour un Débat sur le Libre-échange, pour porter sur la place publique le débat en faveur d’un protectionnisme raisonné. Parmi les fondateurs de cette association, on trouve Emmanuel Todd, Jacques Sapir, Jean-Claude Werrebrouck, Bernard Cassen et Frédéric Viale, des intellectuels français qui sont déjà apparus dans nos pages.

En collaboration avec une autre organisation, le Forum démocratique, ils ont lancé une campagne élargie à l’Union européenne, l’Appel des économistes pour un protectionnisme européen. Cette initiative citoyenne européenne vise à recueillir au moins un million de signatures de citoyens issus d’au moins sept pays européens pour secouer les milieux du pouvoir acquis à la mondialisation libérale.

« Avec la désindustrialisation et les délocalisations massives, le surendettement public, les déficits commerciaux de la majorité des pays européens et l’accumulation par certains pays émergents comme la Chine de réserves de changes colossales, l’indépendance économique de l’Europe est menacée, » affirment les auteurs de l’Appel. « Ce suicide économique et social doublé d’un refus d’entendre les citoyens doit cesser ! C’est pourquoi, nous avons décidé de lancer une Initiative Citoyenne Européenne (ICE) dans 9 pays; elle demande de rétablir la préférence communautaire et une concurrence loyale, en instaurant un protectionnisme commercial aux frontières de l’Europe. Son objectif est de retrouver le plein emploi et une croissance équilibrée dans les pays européens. »

Et les Français semblent d’accord. Selon un sondage réalisé les 2 et 3 mars par Ipsos-Logica Busines Consulting pour Le Monde (daté du 10 mars), une nette majorité des sondés (56%) se dit favorable au « renforcement des pouvoirs de décision de notre pays, même si cela doit limiter ceux de l’Europe ». 52% des Français souhaitent une dynamique européenne plus collective et plus d’un sur trois (35 %) souhaite que le prochain chef de l’État défende davantage l’indépendance nationale.

Or, justement, mettre hyperlien l’ancien ministre français des Affaires étrangères sous François Mitterand, Hubert Védrine, laisse entendre qu’un nouveau président socialiste devrait écouter ces appels :

« L’Europe est depuis trop longtemps l’idiot du village global. Le brave type du système mondialisé. Or cela doit cesser. La mêlée mondiale actuelle n’illustre pas le règne du droit international. C’est une foire d’empoigne pour les marchés, une compétition de tous les instants. […] Le monde entier est souverainiste, sauf les Européens de l’Ouest. Je trouve par conséquent logique de poser la question de la réciprocité et de protections intelligentes de nos marchés. Oui à des écluses sociales et environnementales. Non à des barrières et encore moins à des murs. ».

Le débat ne fait que commencer.