L’auteur invité est James K. Boyce, professeur de sciences économiques à l’University of Massachusetts, Amherst, et chercheur sénior associé au Political Economy Research Institute.
L’occupation de l’Irak par les Américains et les Britanniques relance indirectement le débat sur un sinistre secret de la finance internationale, à savoir, les dettes souscrites par les régimes despotiques.
Tandis que les nouveaux dirigeants de l’Irak débattent du devenir des milliards de dollars de dette extérieure héritée du régime de Saddam Hussein, des voix s’élevent – de l’ONG Oxfam-International jusqu’à Richard Perle, le gourou américain de la défense – pour réclamer l’annulation de la dette irakienne au motif qu’elle a été contractée au bénéfice d’une dictature corrompue. Or l’Irak n’est pas le seul pays dans ce cas. A travers toute l’Afrique sub-saharienne, beaucoup des peuples parmi les plus pauvres de la planète sont confrontés à l’héritage maudit de prêts inconsidérés accordés à des dictateurs corrompus.
Pendant ses 32 ans au pouvoir, l’ex-dictateur congolais Mobutu a accumulé une fortune personnelle estimée à quatre milliards de dollars, tandis que son gouvernement creusait une dette extérieure de 12 milliards de dollars. La situation est tout à fait similaire en Angola où une enquête menée l’année dernière par le FMI a révélé que quatre milliards de dollars avaient disparu des caisses de l’État au cours des cinq dernières années. Il se trouve que durant la même période, le gouvernement angolais a emprunté sensiblement le même montant à des banques privées, hypothéquant les revenus pétroliers à venir à titre de garantie.
La plus grande partie des sommes détournées sont camouflées à l’étranger. Dans une étude portant sur 30 pays d’Afrique sub-saharienne, nous estimons à 187 milliards de dollars le montant des sommes qui se sont envolées entre 1970 et 1996. Si l’on y ajoute les intérêts, ce sont 274 milliards de dollars qui ont disparu, soit 1,45 fois le montant de la dette totale de ces pays. Ses actifs hors du continent dépassant le montant de sa dette extérieure, l’Afrique sub-saharienne joue le rôle de créancier à l’égard du reste du monde. Mais les actifs sont privés et la dette est publique.
L’analyse statistique montre qu’approximativement 80% des sommes empruntées par les pays africains sont repartis à l’étranger sous forme de capitaux, l’année même de l’emprunt. La dette extérieure et la fuite des capitaux constituaient une sorte de tourniquet. Les fonds empruntés par les gouvernements africains tombaient dans les poches de personnes bien placées qui les renvoyaient à l’étranger à titre privé.
Les emprunts qui venaient alourdir la dette d’un pays généraient une fuite supplémentaire de 3 à 4% par an les années suivantes, laissant supposer que la fuite des capitaux était au moins en partie une conséquence de la détérioration de l’environnement économique associé à l’accroissement de la dette.
Durant la dernière décennie, l’Afrique sub-saharienne a enregistré un transfert négatif net de 11 milliards de dollars (les nouveaux emprunts diminués du service de la dette). Autrement dit, plus d’argent est sorti d’Afrique pour rembourser la dette qu’il n’en est rentré sous forme de nouveaux prêts. L’Afrique dépense plus pour le service de la dette que pour la santé. Et malgré les sommes versées pour le remboursement, le fardeau de la dette s’est accru.
Mais le remède est à portée de main. La doctrine de la « dette odieuse » date de la fin du 19° siècle, quand le gouvernement américain a annulé la dette extérieure de Cuba après s’être emparé de l’île durant la confrontation avec l’Espagne. Les autorités américaines ont estimé que la dette de Cuba avait été contractée sans l’accord du peuple cubain et pas à son bénéfice et que les prêts étrangers ont servi à financer l’oppression. Ce même raisonnement peut s’appliquer aujourd’hui non seulement à l’Irak, mais aussi à l’Afrique.
Le bon fonctionnement des marchés financiers exige que les créanciers supportent les conséquences d’un prêt hasardeux. L’idée que les prêteurs doivent être remboursés dans tous les cas, quelles que soient les conditions du prêt et quel que soit l’emprunteur est indéfendable. En toute bonne logique bancaire, les gouvernements africains actuels et à venir ne devraient accepter la responsabilité que de la part de la dette publique qui a servi en toute bonne foi à financer des investissements intérieurs ou la consommation. Ils pourraient, en se réclamant de la doctrine de la dette odieuse, refuser de rembourser la partie de la dette dont la destination n’a pas été établie.
Cette doctrine soulève deux problèmes pratiques. Le premier est de savoir à qui confier la responsabilité de déterminer quelles sont les dettes « odieuses ». Etant donné l’étendue de la fuite des capitaux alimentée par le crédit extérieur, les gouvernements africains peuvent à juste titre estimer qu’il revient aux créanciers d’établir que leurs prêts a été utilisé dans un but légitime. Si le sort de l’argent emprunté ne peut être déterminé, on peut en déduire qu’il a été détourné.
Le second problème est constitué par le risque que les créanciers n’accordent plus de nouveaux prêts aux gouvernements qui auront eu l’audace de refuser de rembourser les dettes odieuses. Mais aujourd’hui le flot de richesses va de l’Afrique vers les créanciers, plutôt que l’inverse. A court terme, l’Afrique va économiser de l’argent en tarissant cette hémorragie, et à long terme, le refus sélectif du remboursement des dettes odieuses bénéficiera tant aux emprunteurs qu’aux créanciers en favorisant des règles de crédit plus responsables.
Si l’occupation de l’Irak est l’occasion de libérer les Africains de l’odieux fardeau de la dette, la guerre aura servi à démanteler au moins une arme de destruction massive.
Copyright: Project Syndicate, 2012.
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[...] début de cette semaine j’ai publié sur OikosBlogue un texte de James Boyce sur « l’odieuse dette africaine ». Un excellent texte qui dénonce, avec un raisonnement bien étayé, cette odieuse pratique des [...]