L’auteur invité est Pier-André Bouchard St-Amant, doctorant en économie à l’Université Queen’s et président de la Fédération étudiante universitaire du Québec au moment de la grève de 2005.
Les recteurs prétendent que les droits de scolarité n’ont pas d’impact sur l’accessibilité aux études. Ces affirmations ne sont pas sans conséquences dans le débat public actuel puisque si tel est le cas, à quoi diable serviraient les revendications étudiantes?
Je montre ci-dessous qu’ils emploient un sophisme grossier et que s’ils étaient dans un cours d’analyse statistique des politiques publiques, ils seraient recalés.
Dans les pages du Devoir le 30 mars dernier, Heather Monroe-Blum affirmait « [qu’en fait], deux des provinces où les droits de scolarité sont les plus élevés — la Nouvelle-Écosse et l’Ontario — affichent des taux de diplomation supérieurs à la moyenne canadienne, soit 48,9 % et 41,0 %, respectivement ».
Peu avant, on a pu également lire dans La Presse le recteur de l’Université de Montréal, Guy Breton, selon lequel « au Québec, les droits de scolarité ont augmenté de 100 $ par année depuis cinq ans après un gel observé pendant 28 années de la période allant de 1968 à 2007. Cela n’a entraîné aucune diminution du nombre d’étudiants à l’Université de Montréal ».
Cette affirmation est reprise de différentes façons par certains intervenants pro-hausse pour justifier la politique du gouvernement. Puisque les droits de scolarité n’auraient pas d’impact négatif vérifiable, pourquoi ne pas les hausser dans le but d’augmenter le financement des universités? Les revendications étudiantes seraient donc sans fondement et il faudrait plutôt se concentrer sur d’autres mesures.
Cependant, ces affirmations relèvent du sophisme. [...] Les recteurs usent d’une corrélation entre deux variables (droits de scolarité et participation) pour soutenir leur propos et tirent la conclusion invalide que cette corrélation est en fait un lien de cause à effet.
Groupe test
Pour être en mesure de conclure à un lien de causalité entre les deux variables, il faut mettre en place une stratégie similaire à celles employées en études cliniques. D’un côté, on prend un groupe test et on lui fait subir une variation de politique inattendue (ici, les droits de scolarité) et on le compare à un groupe contrôle identique sur le plan statistique. Puisque les deux groupes sont similaires, la différence observée de la politique (le taux de participation, dans ce cas) est causée par le traitement imposé.
Qu’observe-t-on quand on soumet les statistiques à cette analyse? On observe le phénomène prévu par la théorie économique: la hausse d’un prix diminue la quantité demandée. En d’autres termes, les droits de scolarité diminuent l’accès aux études.
Il y a nombre de facteurs qui sont différents entre le reste du Canada et le Québec.
D’une part, ils ont une année de plus à l’université, de par leurs programmes de baccalauréat quatre années alors que nous en avons trois. Il est donc normal que par défaut, les taux de participations universitaires soient plus élevés dans le reste du Canada. Notre «première année» ontarienne correspond au Québec à notre dernière année au cégep. Il y a aussi des facteurs culturels importants, les francophones présentant un retard important en matière de scolarisation, un élément qui contribue à justifier une politique de droits de scolarité faibles.
En somme, non seulement les dirigeants d’universités mesurent-ils des corrélations sans stratégie d’identification causale, mais ils le font en comparant des groupes qui ne sont pas «identiques» sur le plan statistique! Ils font ce qu’on explique dans les premiers cours de statistique sociales à l’université: ils introduisent un biais en omettant des facteurs. S’ils devaient être évalués en classe, leur argumentation n’aurait pas la note de passage.
Sur le plan strictement argumentatif, ils se trahissent d’ailleurs eux-mêmes: si les droit n’ont aucun impact sur l’accès aux études, pourquoi compenser les étudiants par des prêts et bourses?
Il est compréhensible de voir les recteurs demander davantage de fonds pour leurs institutions, mais ils ont aussi la responsabilité de faire honneur au savoir universitaire et à l’intégrité scientifique. Visiblement, dans ce débat, l’emploi de ces sophismes témoigne plutôt de leur volonté à garnir les coffres universitaires.
Pour lire le texte original, on va sur le site du quotidien Le Devoir
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