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Le samedi 23 avril 2022

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Transition écologique et sociale : les syndicats sont dans le coup

L’auteur invité est Jean Gadrey, professeur émérite d’économie à l’Université Lille 1. Il a publié au cours des dernières années : Socio-économie des services et (avec Florence Jany-Catrice) Les nouveaux indicateurs de richesse (La Découverte, coll. Repères). Il collabore régulièrement au magazine français Alternatives Economiques.

On connaît le refrain : les syndicats sont conservateurs, et en particulier ils ne prennent pas en compte les exigences écologiques. On a certes des exemples en ce sens. Mais d’abord, j’aimerais savoir ce que feraient ceux qui entonnent ce refrain s’ils devaient se battre le dos au mur contre des décisions d’abandon de leurs sites de travail et de vie sans proposition alternative acceptable. Et par ailleurs, globalement, cette idée reçue ne tient pas la route. Je trouve même que, sur les perspectives de transition écologique et sociale, les syndicats ont de l’avance sur la majorité de nos élus nationaux.

Ils ont d’ailleurs tout intérêt à en avoir, et ils le savent. Car sur la tête de qui sont retombés dans le passé les cataclysmes industriels non ou mal anticipés par le patronat et les politiques, par exemple dans la sidérurgie et le textile, anciens pôles majeurs dans ma propre région (le Nord-Pas-de-Calais, NPDC dans la suite) ? Sur celle des salariés, ouvriers et ouvrières en tête. Pour les syndicats, anticiper n’est pas facile, mais c’est une nécessité qui fait partie de leurs réflexions, dans des collectifs dont ils se sont dotés.

Un exemple régional non isole, dans son contexte mondial

Dans ma région ici prise en exemple – mais elle n’est pas la seule – d’autres cataclysmes se préparent, si on n’anticipe pas. Ses fleurons actuels, en termes d’emploi industriel, sont l’industrie automobile (troisième région en Europe), l’industrie agroalimentaire, la chimie et ce qui reste de sidérurgie/métallurgie. Et puis, là comme presque partout ailleurs, les services représentent plus des trois-quarts de l’emploi, et les phares régionaux de ce tertiaire en expansion ont été la grande distribution et les transports (logistique), plus les services et administrations publics.

Pourquoi un effondrement de plusieurs de ces secteurs est-il probable – mais pas certain – dans les dix ou vingt ans ? Je me suis souvent expliqué sur ce point : la croissance quantitative ou croissance matérielle va prendre fin dans les années ou la décennie à venir pour des raisons avant tout écologiques. Je fais abstraction des risques récessifs, dont j’espère qu’ils seront conjurés, liés à la folie de la finance dérégulée. Cela fait d’ailleurs plusieurs décennies que cette tendance – la nette décroissance du taux de croissance – s’observe, tout comme la nette décroissance des gains de productivité du travail.

La première famille de raisons expliquant la fin vraisemblable de la croissance dans la période à venir est l’épuisement des « ressources naturelles de la croissance ». L’après pétrole a déjà commencé et, d’ici quelques années, le baril de brut sera à 200, puis 300, puis 400 dollars, et plus ensuite. Les très discutables solutions relevant de la « TIPP flottante » – ce n’est pas la TIPP qu’il faut réduire, mais les inégalités de revenu et la dépendance au pétrole – ne feront que retarder un peu une envolée inéluctable et qui va toucher bien d’autres ressources que le pétrole. Notamment des minerais essentiels à toute croissance matérielle, fut-elle « verte », et même des ressources qui ne sont pas encore considérées comme rares dans notre pays mais qui vont le devenir : terres arables, forêts, eau… Quant aux gaz de schiste, aux sables bitumineux ou aux forages en eau profonde, il faut être l’éditorialiste du Monde du 29 février pour refuser d’y voir une fuite en avant suicidaire, ne serait-ce que sous l’angle du climat. Une nouvelle « ruée minière mondiale » est en cours, et elle est désastreuse à court comme à long terme (voir cette excellente référence).

Deuxième raison : si l’on se décide vite à combattre vraiment le réchauffement climatique, il va falloir freiner toutes les productions et consommations gourmandes en énergies fossiles. Les normes ou taxes qui vont s’imposer vont elles aussi renchérir le prix des énergies fossiles et de toutes les productions qui en dépendent le plus.

Donc à terme, d’ici peut-être cinq à dix ans, la production va au moins stagner, puis diminuer, dans certains secteurs dont l’automobile, la sidérurgie, le transport aérien, le transport routier, le tourisme au loin, la grande distribution, la distribution postale, etc. Freiner les délocalisations est nécessaire, mais cela ne jouera qu’un rôle très secondaire.

Plusieurs de ces secteurs menacés sont des piliers actuels de l’économie de la région NPDC. Ils ne pourront plus l’être très longtemps, sauf s’ils se « recyclent » profondément en quittant la trajectoire au fil de l’eau (et des marchés) dite « business as usual ».

Mais dans le même temps le besoin de croissance et/ou de montée en qualité devrait s’affirmer dans des secteurs d’avenir, soutenables, industriels ou non : une autre agriculture répondant à une demande de proximité et exigeant plus d’emplois, l’exploitation durable des forêts et du bois ; des industries nouvelles ou reconverties dans les énergies renouvelables, les produits à très longue durée de vie et très économes en énergie, le bâtiment à faibles émissions, la réhabilitation thermique de tout le bâti ancien, le recyclage ; les transports collectifs et le matériel correspondant, le fret ferroviaire, des services de proximité pour la petite enfance et pour le bien-être des personnes âgées ou handicapées, l’entretien de l’environnement. La liste est longue. Mais en France, comme dans le NPDC, ces activités sont presque toutes dans l’enfance, très en retard sur leurs homologues d’autres pays et régions.

Anticiper avec les syndicats et d’autres parties prenantes

Partout, y compris au Conseil régional du NPDC, on débat actuellement d’un « autre modèle », ou de la « transformation écologique et sociale ». Quel est l’enjeu si l’on se place du côté de la population et des salariés ?

L’enjeu est d’anticiper et de prévenir en dix ans – en commençant tout de suite – ce qui risque d’être un drame économique et social comparable à ceux du passé. Il est de prendre à temps un virage dans plusieurs domaines pour s’engager sur un sentier de développement humain soutenable favorable à l’emploi et à la « résilience » des territoires. Il est de conjurer le « grand risque du 21ème siècle », celui d’une catastrophe écologique et humaine planétaire, et de fonder un « grand espoir du 21ème siècle », radicalement différent de celui que Jean Fourastié – un remarquable économiste de son temps, mais remarquablement productiviste – décrivait dans son livre de 1949, « Le grand espoir du 20ème siècle ».

On a pour cela besoin aujourd’hui de planifier de façon participative, avec toutes les parties prenantes, des conversions, reconversions et transitions écologiques avec comme principe social directeur : CONSERVER SUR LES TERRITOIRES LES EMPLOIS ET LEUR QUALITE, LES REVENUS, avec des projets régionaux et de territoires (appuyés par l’Etat et par un secteur financier arraché aux actionnaires) faisant toute leur place aux activités d’utilité écologique et sociale, dont des entreprises industrielles « recyclées ».

Pour leur part, les syndicats y réfléchissent et ils ont souvent des propositions qui sont à la hauteur de l’enjeu, élaborées en partenariat avec des instituts ou groupements compétents sur le plan écologique. C’est par exemple la confédération européenne des syndicats (en anglais ETUC) qui a coproduit en 2009 un gros (208 pages) et passionnant rapport sur « le changement climatique et l’emploi en Europe » : Climate change and employment (en anglais seulement, malheureusement).

Il y est montré, sur la base d’études approfondies dans quatre secteurs clés (les industries les plus consommatrices d’énergie – sidérurgie et cimenteries, les transports, la production d’énergie et la construction), qu’une réduction des émissions de 30 % à 50 % en vingt ans est possible en Europe dans ces branches particulièrement « lourdes » en pression écologique, et que cela aurait un impact global (faiblement) positif sur l’emploi. Plus intéressant peut-être : s’il est vrai que certaines branches d’activité verraient leur emploi stagner ou régresser et d’autres progresser, les plus importantes redistributions d’emplois auraient lieu non pas entre branches mais à l’intérieur des branches. Il s’agit d’une condition favorable aux reconversions, à la formation et aux qualifications. Des conditions sont ajoutées : un réexamen profond des règles du commerce international, et une valorisation salariale des nouveaux emplois qui ne soit pas moindre que celle des emplois actuels.

Cette initiative syndicale à l’échelle européenne n’est pas isolée. Les syndicats de l’automobile réfléchissent aux scénarios de mutation de la mobilité et à la façon de produire de la mobilité « durable ». Ceux de Gandrange défendent un projet crédible et expertisé permettant de sauver le site en le transformant en site de recyclage de ferraille (voir l’article « de la ferraille à l’acier » dans l’Humanité du 20 février 2012). Ceux de la raffinerie Total à Dunkerque ont mis en avant un potentiel de fabrication de piles à combustible (hydrogène ou autre). La défense du fret ferroviaire, sacrifié par la SNCF, est, notamment dans le NPDC, le fait de syndicats liés à des associations et ONG (Amis de la Terre, Réseau Action Climat…), avec d’excellents arguments écologiques sur les « alternatives à la route ».

On ne saurait nier que les plus actifs des « défenseurs de l’environnement » se trouvent du côté d’associations « écolos ». Elles ont marqué des points et elles restent indispensables. Mais on aura besoin de beaucoup de monde pour engager et réussir la « grande transformation du 21ème siècle », et on n’y parviendra pas sans les syndicats. Ils sont déjà dans le coup.

Pour information, lien vous trouverez via ce lien un article récemment publié, que j’ai écrit avec Thomas Coutrot pour l’institut d’études ETUI lié à la confédération européenne des syndicats : « La croissance verte en question ».

Pour lire le texte original, on va sur le blogue de l’auteur.

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