En Bolivie, le « pillage de Potosi » représente les années d’enfer qui ont suivi la découverte de mines d’argent, de zinc et d’étain par les colons espagnols. Bien que le pays fut en son temps le plus grand producteur d’argent, à l’époque où ce métal servait d’étalon en finances internationales, l’exploitation coloniale qu’on en fit n’a aucunement servi aux Boliviens de sortir de la misère économique et sociale. C’est pour éviter une autre fois ce pillage que les autorités boliviennes refusent que le développement minier se fasse dans le cadre du modèle économique libéral.
La question se pose à Uyuni, petite ville du département de Potosí, dans le sud-ouest de la Bolivie. Depuis plusieurs mois, les travailleurs de la Gérance nationale des ressources évaporites (GNRE), une entreprise publique, s’activent sur un projet d’exploitation du lithium. La GNRE a le monopole de l’exploitation du lithium dans le pays, dont la Bolivie possède les plus grandes réserves au monde : entre 9 et 100 millions de tonnes selon les estimations respectives des Etats-Unis et des experts boliviens, soit entre 30% et 70% des stocks globaux. Depuis que ce métal est amplement utilisé dans la production de batteries rechargeables (pour les téléphones mobiles, ordinateurs portables mais surtout pour les batteries de véhicules électriques ou rechargeables), le cours du lithium a explosé sur le marché mondial : entre 2003 et 2008, la tonne est passée de 350 à 3 000 dollars. Mais depuis la mise en production des premiers véhicules électriques de série, depuis trois ans, le cours du lithium est passé à 7 000 dollars la tonne.
Les conditions que veut imposer la GNRE aux pays et groupes étrangers voulant signer des contrats d’exploitation sont claires : souveraineté de l’Etat sur ses ressources ; participation majoritaire de la Bolivie ; industrialisation des produits dérivés du carbonate de lithium sur le sol bolivien ; transfert de technologie vers les ingénieurs boliviens. Mais ces exigences ont heurtées les intérêts des clients potentiels, dont celui du groupe français Bolloré qui préparait la sortie de sa première voiture électrique, la Bluecar. Mais étant donné que les voisins de la Bolivie (dont le Chili qui aurait les 2e plus grandes réserves mondiales) sont beaucoup moins exigeants que la Bolivie, les clients sont moins nombreux à cogner à la porte de la GNRE. D’autant plus que le Chili a depuis longtemps privatisé l’industrie.
Si j’ai abordé ce sujet du contrôle du lithium en Bolivie, c’est pour faire un parallèle avec la situation québécoise. Nous assistons depuis quelques années, en fait depuis que ce métal apparaît comme une matière stratégique pour la prochaine révolution industrielle, à la perte complète de la maîtrise québécoise sur ce métal. Par exemple, le projet minier Québec Lithium qui devrait voir le jour en 2012-2013 près de Val-d’Or. Les ressources prouvées de cette mine sont estimées à 33 millions de tonnes, suffisantes pour fabriquer pendant des décennies un million de batteries par année. Mais la propriété de la mine, qui a déjà été en opération il y a plusieurs années, a été acquise en 2009 par la compagnie ontarienne Canada Lithium. Même scénario pour Phostech Lithium, de Saint-Bruno-de-Montarville, acquis par le groupe allemand Süd-Chemie en 2008. La production de Phostech Lithium, du phosphate de fer lithié, intrant fort prometteur pour les batteries lithium-ion, devrait atteindre un volume annuel de 2 500 tonnes métriques, ce qui permet de fabriquer 50 000 batteries de voitures électriques ou 500 000 batteries de voitures hybrides.
La même chose se produit plus en aval de l’industrie : après des investissements importants et des expériences entrepreneuriales pour le moins questionnables, les recherches québécoises sur les piles lithium-métal polymère (LMP) ont finalement débouché sur la fabrication à grande série. Mais elle se fait à l’initiative de qui ? Du groupe Bolloré, qui a choisi d’acquérir l’ancienne usine d’Avestor (filiale d’Hydro-Québec) puisque la Bolivie était trop souverainement exigeante. Le Québec y a gagné des investissements de 120 millions $ (dont 16 millions $ en subvention), qui ont permis de créer 250 emplois et de faire bondir la capacité de production de quelques centaines à 15 000 piles en 2012. Mais nous avons définitivement perdu le contrôle d’une grappe stratégique qui aurait pu donner de biens meilleurs fruits si nous en avions un contrôle global.
[...] prendre l’industrie de la production des piles au Québec. Dans l’un de ces billets, je dénonçais la perte de contrôle nationale sur l’exploitation du lithium, dont le Québec est l’un des pays bien doté dans cette matière. Heureusement, malgré cela, [...]