Depuis bientôt sept ans, les annonces de fermetures, de rationalisations et de restructurations financières se suivent et se ressemblent dans l’industrie forestière québécoise. Malgré cette quatrième crise de l’industrie en quarante ans, crise qui présente une sévérité et une intensité inégalée à ce jour, le Québec tarde à jeter les bases d’un autre modèle de développement forestier. En fait, bien que les idées et les expériences susceptibles de structurer ce modèle existent déjà, de puissants verrous institutionnels neutralisent encore l’essor d’une foresterie économiquement et écologiquement viable. Ainsi, en dépit de ses intentions, le nouveau régime forestier qui entrera pleinement en vigueur au printemps 2013 ne changera pas fondamentalement la donne, puisqu’il ne concèdera qu’une mince marge de manœuvre aux promoteurs d’une foresterie axée sur le développement des communautés et des ressources de la forêt.
Là est l’une des principales conclusions du colloque « Économie de la forêt et dynamiques de proximité », tenu à lors du Congrès de l’ACFAS le 11 mai dernier. Co-organisé par l’IRÉC, ce colloque était l’occasion de faire le point sur l’histoire et l’actualité de la foresterie de proximité, qui est revenue à l’avant-scène avec l’introduction du nouveau régime forestier. Ce dernier a en effet prévu l’élaboration d’une politique de « forêt de proximité » se greffant aux dispositions générales du régime, politique qui a suscité plusieurs attentes dans les milieux régionaux. Des chercheurs, des acteurs territoriaux et des représentants d’organisations travaillant avec des communautés forestières ont tâché d’analyser, avec une distance suffisante, les grandes orientations annoncées de cette politique.
Un premier bloc de conférences portant sur les fondements de la foresterie de proximité a donné le ton : les communautés qui, par le passé, ont constaté les impasses du modèle dominant de l’industrie forestière n’ont pas attendu que le concept de proximité apparaisse dans la documentation gouvernementale pour procéder à leurs propres bilans et étayer leurs propositions. En fait, l’ambition de créer une brèche dans le modèle standard afin que s’expriment d’autres manières de développer la forêt est très ancienne, et l’histoire nous montre que de nombreux individus et collectivités ont cherché à proposer les voies d’une alternative socio-forestière. Or, c’est à travers la formule des « projets pilotes », plutôt que par le soutien au développement élargi d’une foresterie communautaire, que le gouvernement du Québec a historiquement « encadré » cette ambition. Plus souvent qu’autrement, ce cadre a en effet corseté plus qu’il n’a habilité les communautés forestières, et les échecs répétés de ces « projets pilotes » ont été cités par les tenants du statut quo comme autant de preuves illustrant la précarité du modèle.
Des porteurs régionaux du dossier de foresterie de proximité ont aussi eu l’occasion de présenter leurs projets, articulant concrètement les grands principes de cette foresterie. En effet, plutôt que de penser l’exploitation de la forêt en fonction d’une logique d’approvisionnement des marchés, ces projets inversent la perspective et voudraient aménager la forêt en fonction du développement des collectivités qui en vivent. Partant des réalités économiques et écologiques particulières de leur territoire, ces initiatives de forêts de proximité cherchent à capter et redistribuer la rente forestière au sein de leurs communautés, de manière à ce qu’elles prennent progressivement en charge leur propre développement forestier. Mais les obstacles pour la mise en place de ces projets sont nombreux, et les acteurs locaux n’ont pas manqué de souligner le fait qu’ils devaient engager leurs propres ressources dans cette aventure dont ils ignoraient, au final, tout du dénouement. Alors que le gouvernement du Québec n’a jamais hésité à soutenir financièrement l’industrie forestière pour des résultats somme toute discutables, il n’a avancé pour le moment aucune politique de soutien au développement local de projets de forêts de proximité.
Dans la troisième et dernière séance, une table ronde a réuni pour l’occasion les dirigeants de Solidarité rurale du Québec, de la Fédération des coopératives forestières du Québec, ainsi que de l’IRÉC. Les panélistes se sont entendus pour dire que le nouveau régime forestier, ainsi que les grandes orientations du projet de politique des forêts de proximité, n’ouvraient pas réellement le jeu pour les communautés et l’entreprenariat forestier régional. Ils ont convenu que la place attribuée de facto à la politique de forêts de proximité dans le nouveau régime forestier ne débouchait pas tant sur l’élaboration d’un nouveau modèle de développement forestier, que sur la mise en place d’une mesure de mitigation. Les discussions qui se sont déroulées dans la foulée de cette table ronde ont mis en évidence le fait qu’il était impérieux de procéder à un bilan des facteurs de succès et d’échec des expériences de foresterie communautaire. Cela représenterait une première étape dans la construction d’une stratégie destinée à sortir cette foresterie de la marginalité des « projets pilote », afin qu’elle soit pensée comme un modèle alternatif de développement socio-territorial.
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