L’auteur invité, Jean Gadrey, est Professeur émérite d’économie à l’Université Lille 1 et collaborateur magazine Alternatives Economiques. (extraits)
La « Commission Stiglitz » qui planche sur d’autres indicateurs de progrès a mis en ligne le 2 juin un document provisoire afin de recueillir des remarques. Quelques jours plus tard, onze associations et ONG ont lancé une pétition intitulée « L’ultimatum climatique ». Quel rapport ?
Commençons par notre commission. C’est une excellente chose en principe que cette consultation publique, il faut s’en saisir. Pas facile toutefois avec un document de 92 pages en anglais, très technique, et avec une méthode qui consiste à solliciter des réactions envoyées au secrétariat de la commission, sans avoir prévu un « forum » où chacun pourrait être informé de la nature des échanges. Par ailleurs, une consultation publique entre début juin et le 5 juillet pour un rapport dont on annonce la remise le 13 juillet est-elle bien sérieuse ou est-ce un alibi ?
Pour ces raisons, le collectif FAIR (Forum pour d’autres indicateurs de richesse) va produire en juin un texte d’analyse sur ces questions et sur les apports (il y en a, et ils sont appréciables) et les limites (elles sont fortes) des travaux à leur stade actuel. Dès maintenant, un texte assez développé, rédigé par Dominique Méda et moi-même (voir le site de l’IDIES), présente un résumé commenté en français, et sans complication technique, du texte mis en ligne par la commission.
Où se trouvent les limites du texte actuel, qui va probablement encore évoluer ? Essentiellement dans deux domaines.
Le premier concerne l’importance à accorder à l’avenir à des indicateurs (autres que le PIB) fondés sur la monétarisation de tout ce que le PIB oublie, ou d’une partie de ces variables oubliées. Ils tiennent dans ce rapport provisoire une place démesurée. On peut accepter l’idée de conventions d’équivalence monétaires pour réfléchir à certains problèmes (définir des taxes, compenser la dette écologique des pays pauvres, évaluer le bénévolat, etc.). Par exemple, le « rapport Stern » évalue les coûts économiques et humains du réchauffement climatique dans divers scénarios. C’est intéressant, mais c’est acrobatique et d’ailleurs c’est très controversé, certains commençant à estimer que le chiffre de 1 % du PIB mondial qu’il faudrait consacrer annuellement à lutter contre le réchauffement climatique est notoirement insuffisant. En réalité, de telles évaluations monétaires sont encore plus « arbitraires » que nombre d’indicateurs synthétiques non monétaires assez mal vus par la commission… […].
La seconde limite réside dans une conception bien peu « soutenable » du développement durable, objet du chapitre 3. Dans leur tentative de tout transformer en comptes monétaires, les auteurs retiennent un indicateur mis au point par la Banque mondiale, appelé l’épargne nette ajustée (ENA), dont ils proposent des améliorations sophistiquées. Déjà, vous vous dites avec raison qu’une telle appellation ne risque pas de susciter un vaste mouvement d’appropriation populaire. Mais le plus ennuyeux est qu’on nous présente comme indicateur phare du développement durable d’un pays un outil qui fait la somme de trois variables : les variations du capital économique issu de la production, le « capital humain » évalué par les dépenses d’éducation, et une estimation monétaire des variations du capital naturel et des dommages écologiques (pour l’instant limités aux dommages climatiques). Si cette somme est positive d’une année sur l’autre, c’est bon, vous faites du DD parce que votre patrimoine global progresse.
Or cette vision est critiquable à deux titres. La première est qu’il est très difficile, même si les auteurs proposent des pistes pour l’instant incertaines, de tenir compte avec cet indicateur de la présence de seuils critiques de pression écologique au-delà desquels on ne peut plus compenser les dégradations de l’environnement par une amélioration de l’éducation ou du capital économique. […] La deuxième critique me semble plus fondamentale. Cet indicateur n’est nullement un indicateur de développement durable ! Ce dernier terme ne fait pas l’unanimité, mais au minimum on lui reconnaît un contenu associant et croisant des dimensions économiques, sociales, écologiques et de gouvernance démocratique. […]
Nous avons besoin d’indicateurs clairs qui nous signalent à temps que nous allons manquer d’eau (et de bien d’autres choses, dont les qualités collectives d’une société), pas d’abord de comptes monétaires très incertains de nos capitaux sociétaux divers.
L’ultimatum climatique et ses indicateurs d’alerte
« L’ultimatum climatique » est une lettre-pétition qui sera envoyée au président de la République par onze ONG françaises (WWF, Grennpeace, Action contre la faim, Care, FIDH, Fondation Hulot, Les Amis de la Terre, Médecins du Monde, Oxfam, Réseau Action Climat, Secours catholique). On peut la signer en ligne aisément. Le but est d’atteindre un million de signatures.
C’est un texte fort d’appel à l’action et à la solidarité internationale face à un risque majeur d’effondrement. Il s’agit essentiellement de faire monter la pression avant les négociations d’Amsterdam à la fin de l’année. Or, pour convaincre, ce texte a lui aussi besoin de quelques indicateurs, et pas seulement d’autres arguments qui se passent très bien de chiffres. En voici des extraits :
« … il faut impérativement parvenir à stopper la croissance des émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici à 2015 avant de les faire décroitre. C’est la seule voie pour limiter le réchauffement des températures bien en-dessous de 2°C, seuil au-delà duquel la capacité à s’adapter de nos sociétés et des écosystèmes est menacée. Pour ce faire, Les pays industrialisés, dont la France, doivent s’engager collectivement à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici à 2020 par rapport à 1990.
… Pour les pays les plus vulnérables, ces actions ne pourront se faire sans le soutien financier et technique des pays industrialisés. Les besoins d’ici à 2020 sont évalués à plus de 100 milliards d’euros par an. C’est moins de 10% des dépenses militaires mondiales. »
Pour lire la version complète de ce texte de Jean Gadrey, allez sur son blogue d’Alternatives Economique.
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