Panique et euphorie : ces deux mots résument les comportements irrationnels des marchés pour les mois passés et ceux à venir. Y a-t-il, à l’heure actuelle, un indicateur qui était plus prévisible que celui de la forte baisse de l’indice des prix à la consommation ? Pourtant, la publication jeudi passé de la baisse de 1 % de l’indice des prix aux États-Unis a dégénéré en une panique absurde des courtiers, avec l’apparition de manchettes journalistiques annonçant la fin du monde.
Pendant deux ans, le court-termisme des spéculateurs a provoqué une augmentation suicidaire des prix des ressources, avec des impacts tragiques sur les populations les plus fragiles et les conséquences que l’on connaît maintenant sur la croissance; ce même court-termisme est en train de conduire les agents économiques dans un état psychologique qui nous mène tout droit à la dépression.
Les seuls gagnants de cette économie conduite à courte vue sont les firmes de courtage qui empochent les frais de transaction, peu importe que ces dernières produisent ou détruisent de la richesse. Pendant plusieurs années, l’euphorie d’un capitalisme financier spéculatif sans limite permettait de produire une richesse virtuelle sans commune mesure avec la croissance de l’économie réelle. Dans certains cas, cette richesse virtuelle se faisait même au détriment de la viabilité des entreprises dans le long terme, comme on le constate aujourd’hui pour les achats d’entreprises qui ont été faits par LBO (les achats par endettement popularisés par les private equity funds).
L’une des raisons majeures de la profondeur de la crise actuelle est l’incompatibilité radicale entre une économie réelle de plus en plus efficace, avec une production élevée de richesse, et une économie financière spéculative, destructrice de richesse; entre un modèle productif qui gage sur le court terme et une consommation qui gage sur le long terme. L’un des résultats est de déboucher sur une distribution des revenus de plus en plus inégalitaire qui favorise trop largement les détenteurs de capital au dépend du travail.
Selon Mindy S. Lubber, présidente du Ceres:
« While I’m all in favor of wealth creation and rewarding success, how we define corporate success is out of whack. Shareholders — an increasingly vague term with the growth of hedge funds and sovereign wealth funds — should not be the preeminent rulers of companies and quarterly earnings should not be the only gauge for measuring CEO performance. We need to broaden our definition of success so that long-term corporate sustainability and long-term global sustainability get the attention they deserve. Failing to do so will mean more global calamities, both financial and environmental, as the grow-at-all-costs global economy races ahead with little regard for social and environmental consequences.. »
Il faut rapidement imposer de nouvelles normes sociales, sinon strictement juridiques, permettant de changer les pratiques courantes des entreprises. D’une part, en utilisant de nouveaux indicateurs d’analyse financière des entreprises, fondés sur les résultats de long terme, qui permettraient de court-circuiter la dictature des résultats trimestriels; d’autre part, exiger des modèles de rémunération des dirigeants qui récompensent les résultats de long terme.
Il faut, par ailleurs, trouver des moyens d’éliminer à la source l’un des plus formidables incitatif à la finance spéculative : le pouvoir des investisseurs institutionnels qui sont assis sur des billions (milliers de milliards) de dollars. Or, ces moyens sont déjà identifiés. Rappelons que la crise des années 1930 a été réglée, d’une part, grâce à une formidable mobilisation des ressources humaines et financières dans la guerre contre le fascisme, et d’autre part, par la mobilisation de ces mêmes ressources au profit de la reconstruction. Les résultats : la croissance des Trente Glorieuses.
Aujourd’hui, il faut mobiliser la masse énorme de capitaux et les ressources humaines sous-utilisées des pays en développement pour faire la guerre contre les conséquences désastreuses des changements climatiques. Plusieurs initiatives émergent en ce sens. Par exemple, celle-ci qui provient de Sir Nicholas Stern (ancien économiste en chef de la Banque mondiale et auteur du Rapport Stern) et du Prince Charles d’Angleterre :
« P8 group of institutional investors pulled together by Prince Charles were preparing a plan to send to global policy makers to lobby for the best possible regulatory and financial environment that would enable pension funds to start using their financial muscle as long-term investors to take stakes in companies developing sustainable energy solutions. »
Les investisseurs institutionnels regroupés autour de cette initiative détiennent des actifs de 3 mille milliards de $. Sans en faire une panacée, ce genre d’initiatives peut permettre de canaliser des capitaux vers des projets productifs sur le long terme tout en répondant à des enjeux fondamentaux pour la survie de la planète.
En parallèle, évidemment, il faut également mettre en place une régulation publique qui récompense ces initiatives et sanctionne la spéculation.
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