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Le samedi 23 avril 2022

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Reconversion écologique: pour une politique industrielle du 21e siècle

Alors que le paradigme libéral-productiviste est en train de littéralement s’effondrer sous nos yeux, les décideurs politiques et économiques ont jusqu’à maintenant été totalement incapable de s’engager dans le nouveau paradigme qui est en train d’émerger. J’ai produit avec Gilles Bourque un article qui vient de paraître sur le site de la revue Interventions économiques, que je vous invite à consulter, qui présente les grandes lignes d’une politique industrielle du 21e siècle qui pourrait changer cette situation. En voici les principaux axes.

Depuis que l’économiste institutionnaliste étatsunien Dani Rodrik a signalé le renouveau de la politique industrielle au début des années 2000, les choses ont évolué rapidement. Après le « détricotage » des politiques industrielles par les gouvernements ultralibéraux pendant les décennies 1980 et 1990, les défaillances des économies de marchés ont été de plus en plus évidentes, jusqu’à la crise de 2008-2009. Par contre, nous dit Rodrik,, il n’y a pas aujourd’hui de succès d’exportation des pays émergents qui ne soit tributaire des politiques industrielles suivies par ces pays. Ces succès proviennent justement du fait que les nouvelles pratiques de coordination mis en œuvre permettent de répondre aux échecs de marché du paradigme libéral.

La nouvelle politique industrielle des pays émergents et des régions en croissance des pays développés vise davantage à soutenir des activités que des secteurs (par exemple, l’économie verte). Les programmes de subventions favorisent de nouvelles activités, des processus d’apprentissage et des organisations partenariales redevables. Le succès de ces politiques repose aussi sur la création de nouvelles institutions financières, de nouveaux instruments complémentaires aux banques et au capital de risque. Rodrik donne les exemples de fonds souverains, de banques de développement ou, plus généralement, d’instruments permettant de canaliser l’épargne collective – par exemple les caisses de retraite – vers les nouvelles activités.

Un pas vers une indépendance énergétique ‘propre’

Le gouvernement actuel, maître incontesté du faux-semblant, donne l’image d’un Québec à l’avant-garde de la lutte aux changements climatiques. Nous n’avions pas besoin du rapport du vérificateur du Québec pour nous rappeler l’inconsistance des politiques gouvernementales, néanmoins ce rapport a le mérite d’en avoir fait une démonstration sur la base des principes de bonne gestion. Pour nous, le principal problème réside dans l’absence d’une stratégie globale dans laquelle doit s’insérer des politiques proactives (plutôt que réactives) dans le domaine de l’énergie, du transport, de la main-d’œuvre et du système productif. La politique industrielle est au cœur de cette stratégie dans la mesure où elle est la clé qui permet de transformer la nature du modèle de développement, de reconvertir le modèle productif pour qu’il soit écologiquement soutenable.

Par ailleurs, la hausse tendancielle des prix du pétrole constitue l’un des facteurs les plus lourds de déstabilisation de la structure industrielle. Le pétrole rare et cher va réduire la compétitivité de nombres d’entreprises, créer des contraintes de plus en plus dures pour l’amélioration de la productivité et, à terme, définir les facteurs clés d’une concurrence mondiale impitoyable. Les économies nationales seront celles qui sauront passer de la réduction de la dépendance à l’indépendance pure et simple. Ces économies inventeront les voies de l’avenir en changeant de base énergétique. Or le Québec est admirablement bien doté pour construire son indépendance énergétique et se donner des infrastructures économiques adaptées aux défis du 21e siècle. Il y manque une volonté politique.

C’est en matière de transport où la vulnérabilité de l’économie québécoise est la plus grande et où la transition serait le plus difficile à affronter en cas de choc pétrolier. Depuis la fermeture de GM, à Boisbriand, c’est la fabrication d’équipements de transport collectif (train, métro, autobus) qui domine le sous-secteur québécois du transport terrestre. On peut dire que l’économie québécoise s’est, davantage par la force des choses que par une stratégie clairement assumée, progressivement spécialisée dans le domaine du transport collectif. Nous pensons que le moment est maintenant venu d’en faire volontairement un secteur clé, de calibre mondial, du développement économique du Québec. Là-dessus, je vous renvoi au rapport de recherche que l’IREC a publié concernant les projets d’électrification du transport collectif.

L’enjeu du financement

Ce projet de reconversion vers une économie verte peut vraisemblablement faire consensus. Le problème c’est sa mise en œuvre, en particulier son financement. Étant donné l’environnement particulièrement hostile des pouvoirs publics face à l’endettement, il est évident que nous devrons innover pour mobiliser les capitaux nécessaires. On parle d’investissements d’une centaine de milliards $, voire plus. C’est pourquoi nous suggérons que le capital provenant de l’épargne-retraite devrait parfaitement convenir à jouer ce rôle. L’offre d’épargne-retraite, qui par définition a une finalité de long terme, devrait s’harmoniser parfaitement à une demande de financement pour la reconversion économique, elle aussi associée à une finalité de long terme. Les deux sont, pour ainsi dire, faites l’une pour l’autre ! Selon une étude de la Régie des rentes du Québec, l’actif cumulé de la RRQ était de 26 milliards $ à la fin 2008, celui des caisses de retraite complémentaires de 138 milliards $ et celui des REER à 141 milliards $. Au total, c’est 300 milliards $ d’actif en épargne-retraite. Si une proportion de 10 % de ces fonds y était dédiée, cela représenterait donc un fonds de 30 milliards $ d’actif disponible dès maintenant pour la reconversion. Sur une période de 20 ans, en considérant une croissance normale de ces actifs, de leur rendement et leur réinvestissement à échéance, cette seule mesure appliquée dès maintenant permettrait de combler les besoins de 100 milliards $ d’investissements pour la reconversion

Les quelques éléments de réflexion proposés dans ce texte, sur les enjeux du financement de la reconversion du modèle québécois vers une économie verte, visent à susciter et enrichir le débat public qui s’impose. Nous pensons qu’il faut sortir des perspectives financières des récentes années. Ce qui nous apparaît crucial, c’est qu’au cours des prochaines années s’ouvrent une fenêtre d’opportunité exceptionnelle avec un important surplus d’épargne-retraite, qui devrait être temporaire : ou bien nous laissons cette opportunité aux marchés financiers, qui sont instables, ou nous l’utilisons collectivement pour façonner un futur soutenable.

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