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Le samedi 23 avril 2022

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La loi 78 : le révélateur d’un gouvernement faible et d’une société civile forte ?

Devant le refus de dialoguer avec les étudiants depuis le début de la grève, la loi 78 ne constitue pas une grande surprise mais elle devrait nous inquiéter profondément puisqu’elle révèle au grand jour une vision tronquée de la démocratie et une conception réductrice de la société civile.

Une vision réductrice des organisations relevant de la société civile

Le gouvernement Charest a révélé depuis qu’il est au pouvoir qu’il avait beaucoup de difficulté à dialoguer avec les organisations de la société civile. Dans plusieurs conflits dont ceux du parc Orford et de la centrale Suroît, les représentants de la société civile n’ont réussi à faire valoir leur point de vue que lorsque la pression était devenue intolérable. Dans le cas des étudiants, le gouvernement pensait pouvoir s’imposer encore plus facilement comme il croit maintenant pouvoir écraser complètement le mouvement.

Ce préjugé défavorable à l’égard de la société civile n’est pas nouveau, il s’est manifesté dès le premier mandat de ce gouvernement avec la réforme d’institutions qui reposaient sur la concertation. Pensons à la réforme de la gouvernance des Centres locaux de développement (CLD) en décembre 2003 qui faisait disparaître l’obligation d’y retrouver des représentants des syndicats et des groupes communautaires et de femmes, sans oublier la disparition des Conseils régionaux de développement (CRD) avec la mise en place des Conférences régionales des élus (CRÉ). De même, certaines expériences de concertation se sont montrées plus ouvertes à la participation individuelle qu’à celle des associations. Ainsi, lors du Forum des générations en 2004, la CSN décida de boycotter l’opération et les représentants des fédérations étudiantes des universités et des collèges claquèrent rapidement la porte allant rejoindre les jeunes qui manifestaient à l’extérieur. Plus récemment, relevons la disparition de conseils consultatifs tel le Conseil de la science et de la technologie.

Pour le gouvernement libéral, les organisations de la société civile ne représentent apparemment ni des intérêts collectifs légitimes, ni des forces susceptibles de contribuer à l’amélioration du vivre ensemble. Elles lui apparaissent plutôt comme des fauteurs de trouble et des ennemis à abattre, d’où le mépris et l’arrogance. Quel contraste cependant avec le traitement accordé aux représentants des milieux d’affaires (qui méritent par ailleurs d’être considérés). Comme l’écrivait Dorval Brunelle dans La Désillusion tranquille (1978), « ministres et députés rendent régulièrement compte de leurs mandats et de leurs politiques aux déjeuners-causeries des Chambres de Commerce, jamais aux assemblées de syndicats ou aux associations de citoyens ». Il ajoutait que « quand ils s’adressent ‘à la population’, ils manœuvrent toujours pour que le rapport s’établisse à sens unique », reprenant souvent le point de vue de l’élite économique. Le gouvernement actuel n’est pas sans présenter des similitudes quant à son approche avec le gouvernement Bourassa des années 1970-1976, même si le contexte, les acteurs et les enjeux en présence sont loin d’être identiques.

Une vision tronquée de la démocratie

Bien que les nouveaux mouvements sociaux (jeunes, femmes, pacifistes et environnementalistes et contre-culturelles) dont l’émergence remonte aux années 1960, ont été l’expression de sociétés civiles en santé, ils ont fait dire à certains que les sociétés devenaient ingouvernables, en raison notamment de la diversité des intérêts collectifs en résultant. Cependant, dans les années 1980 et 1990, la société civile est apparue comme l’un des principaux terreaux des processus de transition vers la démocratie aussi bien en Amérique latine qu’en Europe de l’Est. Mais, depuis que la démocratie s’est imposée dans la très grande majorité des pays, les citoyens des démocraties les plus anciennes font montre d’un désenchantement à son égard. La démocratie représentative révèle de nouvelles limites. Ainsi, les citoyens de plus en plus instruits, informés et branchés considèrent que la démocratie ne saurait se limiter au choix de représentants une fois tous les quatre ans, d’où un intérêt croissant pour la démocratie participative.

Désormais, il existe une dissociation entre ce que Pierre Rosanvallon appelle la démocratie d’élection et la démocratie d’action. Le fait d’avoir été élu ne suffit plus pour devenir porteur de l’intérêt général d’autant plus que, dans une société pluraliste et complexe, ce dernier ne peut résulter que de débats à l’échelle de la société. Lorsque les questions à résoudre dépassent à l’évidence la gestion courante des affaires de l’État, les élus doivent en quelque sorte construire une légitimité comme c’est le cas de réformes qui engagent l’avenir d’une génération ou qui visent à définir la juste part d’une catégorie sociale. Dans ces cas, la démocratie représentative se doit de faire appel à des mécanismes relevant de la démocratie participative. Cela ne devrait guère nous étonner puisque, dans le passé, nos gouvernements ont mis sur pied divers mécanismes de consultation et d’études tels les commissions d’enquête et les États généraux. Autrement dit, une élection générale ne donne pas à un gouvernement un chèque en blanc pour toutes les décisions possibles, mais le gouvernement demeure le premier responsable pour la mise en place de tels mécanismes qui permettent d’arriver à des décisions qui s’imposeront sans avoir besoin d’utiliser la violence, y compris pour ceux qui seront moins bien servis par elles. Ce travail difficile exige un gouvernement fort, intelligent et capable de vision.

Le Québec : une société civile forte et un gouvernement faible?

À première vue, nous sommes en présence d’une société civile forte. Cependant, on peut se demander si la démocratie participative telle qu’elle s’exprime actuellement contribue effectivement au renforcement de la démocratie représentative. En effet, depuis au moins une décennie, le pouvoir de la société civile a de plus en plus de difficulté à s’arrimer à la démocratie représentative. Son pouvoir semble le plus souvent en être un de freinage, d’où l’impression d’immobilisme des élites économiques qui ont par ailleurs l’oreille du gouvernement. Ce pouvoir de freinage ne résulte pas d’une préférence des organisations de la société civile, mais d’une exclusion qui ne leur offre pas d’autres choix. Autrement dit, leurs demandes et à fortiori leur aspirations ne sont jamais (ou très peu) prises en considération lorsque les projets et les politiques sont en voie de définition, la société civile n’a dès lors que le choix d’intervenir qu’après coup. Ce qui représente une faiblesse, même si elle n’en est pas forcément la première responsable.

Un gouvernement qui s’appuie sur la répression pour s’imposer est à l’évidence un gouvernement faible. Il est manifeste que la gestion gouvernementale de la crise étudiante a été pitoyable, mais il faut aller au-delà de la seule gestion puisque cette dernière relève d’une approche des problèmes qui est source permanente d’insatisfaction et de résistance. De plus, après deux mandats, le gouvernement ne s’est pas donné les outils pour prévenir des crises comme celle que nous vivons. Le PQ avait utilisé divers mécanismes dont les sommets socio-économiques qui n’étaient pas complètement satisfaisants, mais qui avaient au moins l’avantage de favoriser le dialogue et la recherche de solution. Comme on peut le constater avec le Plan Nord, qui se veut le projet d’une génération, le gouvernement actuel est incapable de proposer une vision susceptible de susciter l’enthousiasme. Une telle vision ne peut être pensée qu’en mettant à contribution non seulement tous les lucides de ce monde, mais aussi tous ceux et celles qui misent sur la solidarité, y compris pour survivre. L’incapacité ou le refus des dirigeants politiques en place de s’ouvrir à la diversité des intérêts pour construire l’intérêt général est la marque d’un gouvernement faible. Sans doute la tâche n’est pas facile, mais elle devient carrément impossible lorsque la répression, la police et les tribunaux sont les principaux outils mobilisés pour dénouer une telle crise.

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