Les auteurs invités sont Isabelle Autissier et Serge Orru, présidente et directeur général du WWF France
Le monde paysan, c’est du labeur et du labour. C’est aussi l’amour de la terre pour les 970 000 actifs agricoles qui, sur 490 000 fermes, sont les créateurs de nos produits alimentaires, les épines dorsales de nos territoires et les sculpteurs de nos paysages. Mais alors, pourquoi tant de souffrances ? Une ferme est abandonnée toutes les 25 minutes en France et toutes les 3 minutes en Europe. Ce métier enregistre le plus fort taux de suicide et le niveau d’endettement le plus élevé. Cette situation est insupportable. Nous nous devons de soutenir ces femmes et ces hommes indispensables à notre vie quotidienne. Sur le modèle de la gouvernance du Grenelle de l’environnement que l’alliance pour la planète avait su faire émerger en 2007, le WWF France demande solennellement au président de la République élu le 6 mai 2012 de lancer le pacte agricole qui sera une importante négociation nationale issue d’Etats Généraux précédemment organisés dans les territoires, afin de préserver et développer l’agriculture paysanne. Au lendemain de son élection, le président de la République et son premier ministre devront réunir le monde agricole, les syndicats, les élus nationaux, régionaux et européens, les associations de consommateurs ainsi que les ONG environnementales pour définir les termes d’une agriculture prospère, durable, respectueuse de l’homme et de l’environnement. Il s’agira aussi de réorienter la prochaine Politique agricole commune (PAC) vers une véritable transition environnementale.
Réconcilier l’humain et la nature, telle est la mission du WWF. A l’instar de la transition énergétique indispensable pour lutter contre le péril climatique, l’un des piliers de la nécessaire métamorphose écologique de nos sociétés repose sur la transformation des modes de production agricoles et agroalimentaires. Leur industrialisation excessive nous a fermé des pistes de réflexion essentielles. En conséquence, notre pays a plus que jamais besoin d’un pacte agricole susceptible de promouvoir une agriculture rémunératrice, structurante des territoires ruraux, respectueuse de l’eau et de la biodiversité, à forte valeur patrimoniale, créatrice d’emplois, porteuse d’innovations et d’équilibre pour nos agriculteurs.
La protection de l’environnement et l’agriculture, loin d’être antagonistes, se nourrissent mutuellement et font symbiose. A l’heure où notre futur dépend du nouveau rapport que nous saurons établir avec la nature, pourquoi nous priver d’une telle opportunité ? L’agriculture française a été pensée pour la France des années 50, il est grand temps de redéfinir une politique agricole adaptée aux enjeux du XXIème siècle, une politique qui accorde à l’agriculture un rôle central dans l’aménagement du territoire, l’alimentation et la refondation des relations homme-nature.
Nous avons besoin d’une agriculture moderne dans une quadruple perspective, à la fois économique, sociale, écologique et géopolitique. Le WWF avec tous ceux qui s’empareront de cette idée, soutient un pacte agricole, redéfinissant les règles afin que les paysans vivent dignement de leur travail. Un pacte qui assure à tous une alimentation saine, sans polluants chimiques, favorables à la bonne santé de la population. Un pacte qui, tout en respectant le critère essentiel du moindre impact sur les écosystèmes et la préservation de ressources naturelles contribue à faire évoluer les échanges internationaux en veillant avant tout à la souveraineté et à la sécurité alimentaire de chacun des pays.
Redonner cohérence à l’économie agricole, c’est mettre fin à un modèle de production sous perfusion pour lequel les français payent deux fois, pour soutenir d’abord, pour réparer ensuite. Représentant 14 à 15% du vivier d’emplois national, le chiffre d’affaire de la Ferme France est estimé à 200 milliards d’euros (source INSEE 2011). Pourtant, le partage des bénéfices n’est aujourd’hui pas équitable. Une partie des mécanismes fiscaux et de soutien existants ont un effet pervers. Une réforme de la fiscalité sur les revenus agricoles est essentielle pour lutter contre le gaspillage et la pollution des ressources. Dans le cadre d’une agriculture respectueuse de la biodiversité, de la santé de ceux qui travaillent la terre et de ceux qui s’en nourrissent, nos outils budgétaires et fiscaux, nationaux ou européens, doivent désormais viser la réorientation des soutiens en fonction de la qualité du modèle agronomique mis en œuvre.
Encourager, faciliter et soutenir l’installation de nouveaux paysans passe par une réforme de la gouvernance des SAFER (société d’aménagement foncier et d’établissement rural). Promouvoir la conversion des agriculteurs conventionnels vers des systèmes de production biologiques ou intégrés, développer les produits biologiques dans les entreprises du secteur aval (transformations, grossistes, distributeurs), telles sont les pistes à suivre et à valoriser tant en termes d’expertise agronomique très appauvrie par plusieurs décades d’industrialisation du vivant qu’en termes de rendements. Elles sont aussi très prometteuses en emplois « verts » non délocalisables.
Le récent rapport spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation confirme la capacité de l’agroécologie à répondre à l’enjeu de la sécurité alimentaire mondiale sous réserve de résolution des conflits d’usage, notamment sur la question des agro-carburants et de la spéculation sur les matières premières agricoles et sur le foncier. En France, des solutions existent telle l’agriculture durable à bas niveau d’intrants, développée depuis plusieurs décennies par les Civam, qui remet au cœur des pratiques agricoles l’observation des écosystèmes et la reproduction de leurs fonctionnalités.
L’agriculture biologique gagne elle aussi du terrain mais l’offre disponible est très insuffisante pour satisfaire la demande. Plus dynamique en facteur travail, l’agriculture biologique attire de nouveaux venus et constitue un véritable vivier d’emplois. Pourtant, seuls 3,2% de la surface agricole française sont aujourd’hui en bio.
Retisser le lien entre l’homme et la nature, c’est aussi restaurer la cohérence de nombreux territoires urbains, participant ainsi à l’amélioration de l’aménagement territorial. Nos villes étaient autrefois nourries par les ceintures maraîchères qui les entouraient. Depuis, la spéculation foncière et l’étalement des villes ont mité le territoire. Rétablissons la fertilité autour de nos villes en recréant des ceintures vertes. Développons des circuits de distribution locaux et maillés qui favorisent la fraîcheur des produits, la réduction des intermédiaires et, lorsqu’ils sont bien organisés, la diminution de l’empreinte énergétique. L’agriculture périurbaine crée une économie circulaire, des emplois et de la biodiversité. Elle contribue à l’information et l’éducation du citoyen-consommateur, à l’évolution des pratiques alimentaires et au développement de l’approvisionnement. Le succès des AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) confirme cette attente de la société.
Nous mangeons trois fois par jour grâce aux paysans. Nous jouissons de la beauté des paysages façonnés par des générations de laboureurs, d’éleveurs, de forestiers. Nous avons tous besoins d’eux et ils ne peuvent plus se défendre seuls face au rouleau compresseur des lobbies agro-industriels mondiaux. Ainsi, notre Assemblée nationale a voté, dans la nuit du 28 novembre 2011, une loi interdisant aux paysans de ressemer ou d’échanger les graines des plantes qu’ils ont cultivées, sauf à payer un tribut aux firmes semencières ! Les paysans ont vraiment besoin des citoyennes et des citoyens pour défendre leur métier, leur liberté de semer et notre liberté de choisir le contenu de nos assiettes. La question du devenir de notre modèle agricole et alimentaire est une priorité nationale et européenne. Avec le retour à une agronomie soucieuse de la santé de la planète et des paysans, d’une régulation du marché et de l’autonomie financière des exploitations, la transition de notre modèle agricole provoquera la création d’emplois, le désendettement et la restauration de notre « environnement à tous ». Ensemble avec le pacte agricole, redonnons du sens au monde paysan. Avec une réelle volonté politique, quelques saisons suffiront pour nous emmener sur le chemin d’une agriculture heureuse.
Pour lire le texte original, on va sur le site du quotidien Le Monde
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