Dans la vidéo que j’ai mis en ligne la semaine dernière sur OikosBlogue, on peut visionner un entretien des journalistes d’Alternatives Économiques avec deux chercheurs français autour de leur livre, Refonder l’entreprise. Contre la gouvernance de type actionnariale qui s’impose de plus en plus dans les entreprises, nous disent ces chercheurs, il faut refonder les normes de gestion si l’on veut réellement assurer la pérennité des entreprises, des emplois.
Comme l’explique les deux auteurs, la logique de progrès social dans l’entreprise s’est brisée autour des années 1980-1990 : le profit des actionnaires est alors devenu la raison d’être de l’entreprise. Cette doctrine s’est graduellement répandu à partir du monde anglo-saxon et a déstabilisé la mission des dirigeants, atrophié les règles de gestion, sacrifié l’intérêt des salariés en cédant le ‘contrôle’ aux actionnaires. Ce dérèglement du rouage majeur de la création de richesses a préparé et amplifié les grands déséquilibres économiques et sociaux. Aujourd’hui, ce modèle de gouvernance des entreprises qui met l’accent sur la valorisation actionnariale conduit à des inégalités croissantes et fragilise la pérennité des entreprises (perte de compétences, sous-investissement de long terme, etc.).
Ce questionnement s’applique tout à fait au contexte québécois. Il fut un temps, pas si lointain, où on pouvait encore voir dans les entreprises québécoises de nombreuses expériences de renouvellement des milieux de travail, souvent avec une participation active de l’acteur syndical. Ces expériences ont débouché sur de nombreuses innovations sociales, tant sur le plan de l’organisation du travail que celui des relations patronales-syndicales. Mais depuis une dizaine d’années, c’est le vide total : bien sûr, les secteurs manufacturiers où se sont produits la plupart de ces innovations traversent une crise profonde, avec des délocalisations en série. Mais il faut aussi compter sur le fait que le patronat québécois a été rattrapé par le mouvement mondial de radicalisation des milieux d’affaires : pour répondre à la crise, ils exigent maintenant une soumission totale des travailleurs alors qu’eux étirent le ressort de leurs privilèges grâce au capitalisme actionnarial.
Pourtant la crise de 2008 a clairement démontré que ce modèle est tout à fait insoutenable. D’autant plus dans un contexte de crise écologique qui appelle à une reconversion en profondeur du modèle. Ce qui m’amène à vous parler d’une autre initiative d’Alternatives Economiques, soit un article du journaliste Marc Chevallier qu’on peut trouver dans le numéro d’avril dernier qui porte sur la reconversion d’une usine du groupe Bosch, à Vénissieux (en France).
On y présente un cas d’école d’une expérience de reconversion industrielle aboutie. L’histoire commence lorsque le groupe Bosch (un géant industriel allemand de la mécanique industrielle de précision) annonce la fermeture de l’usine, où se fabriquaient des pompes à injection de moteurs diesel pour Peugeot PSA. Deux ans plus tard (en janvier dernier), cette usine située près de Lyon, dans le Rhône, commençait pourtant à assembler ses premiers panneaux photovoltaïques dans des locaux rénovés. Fin avril, on démarre la deuxième ligne de montage qui portera la capacité de production de Vénissieux à 150 mégawatts par an, soit la plus grosse usine d’assemblage de modules solaires de France.
Comment explique-t-on le succès de ce processus de reconversion ? Par un dialogue social de qualité et une réflexion approfondie sur les compétences collectives développées par les salariés de Vénissieux. Mise en œuvre par la firme de consultant Syndex, celle-ci a consisté à mettre en évidence les compétences collectives du site, non seulement technologiques mais surtout organisationnelles : plus que les premières, sujettes à une obsolescence rapide, ce sont en effet les secondes qui permettent au site de s’adapter à un éventuel changement d’activité.
« Cette reconversion exemplaire n’aurait cependant pu être menée à terme sans un certain nombre de conditions. Au premier rang, figure la qualité du dialogue social régnant au sein du groupe Bosch : la multinationale allemande, au capital de 51 milliards d’euros en 2011, qui emploie plus de 300 000 salariés dans 60 pays, est en effet contrôlée par une fondation. Non coté sur les marchés financiers, Bosch est à l’abri des pressions court-termistes de retour sur investissement et cultive son image d’entreprise socialement responsable, même si elle n’hésite pas à fermer des sites quand elle l’estime nécessaire. »
Pour en savoir plus, on trouve la synthèse de l’étude de Syndex en cliquant ici.
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