Le suspense est maintenu dans le dossier de la future politique bioalimentaire québécoise qui est encore une fois reportée. Celle-ci devrait marquer, selon le Ministre Corbeil, un « virage avec le passé » en établissant le « consommateur » comme étant le principal agent responsable de la « définition du bioalimentaire de demain ». De quel passé le monde agroalimentaire québécois hérite-t-il? Pourquoi faudrait-il lui tourner le dos?
Historique de la mise en marché collective au Québec
« Nous négocierons quand la loi l’exigera. DANS L’INTERVALLE NOUS SOMMES LES MAÎTRES! » Ce sont là les propos d’un dirigeant de la compagnie Carnation relatés dans le rapport de la Commission sur la protection des agriculteurs et des consommateurs de 1952. Carnation jouissait alors d’un monopsone, d’un monopole de l’achat, devant les fermes laitières des Cantons de l’Est. Ces propos illustrent à quel point les relations d’affaires qu’entretenaient les fermes avec les intermédiaires pouvaient être tendues et certainement pas à l’avantage des premiers.
Les agriculteurs québécois se voyaient alors, comme ailleurs en Amérique du Nord, de plus en plus encastrés dans des filières agroalimentaires verticalement pilotées par d’importantes firmes de transformation alimentaire. Contre cela, un important« virage » fut pris au Québec. C’est ainsi que quelques années après la Commission, unlevier de négociation favorable aux agriculteurs (en les regroupant) fut instauré : la mise en marché collective. Ce « virage » avait aussi deux autres objectifs selon la Commission : préserver la famille agricole et contrôler la qualité des denrées par une standardisation des procédés.
Quelques tendances plus récentes
Or depuis 60 ans, les multinationales de l’alimentation (Kraft, Danone, Nestlé, Cargill, Tyson, etc.) ont pénétré avec intensité les marchés nationaux, les grands épiciers ont centralisé leur système de distribution et offrent eux-mêmes des aliments de marque maison. Facilitant l’importation d’aliments à faibles coûtsde pays où les standards en matière de sécurité alimentaire peuvent être à des années-lumière des nôtres, ces nouveaux phénomènes pèsent de tout leur poids sur la compétitivité des filières agroalimentaires québécoises. Et agriculteurs et transformateurs alimentaires québécois ont à cet égard sonné le tocsin lors de la Commission Pronovost, dont le rapport fut publié en 2008. Pour ces derniers, la mise en marché d’aliments à valeur ajoutée (biologiques ou enrichis d’oméga 3 notamment) apparaît comme une planche de salut face aux produits standards, importés et à bas prix.
Les orientations du livre vert
C’est là l’une des délicates tâchessur laquelle aura à s’atteler à mon avis la future politique. Favoriser la diversification de l’offre alimentaire n’a pas à se faire au détriment des raisons pour lesquelles la mise en marché collective fut adoptée. En contrepartie, celle-ci est en quelque sorte contrainte à se faire accommodante avec les projets innovateurs des transformateurs québécois quidéploient des trésors d’ingéniosité afin que leurs produits et les aliments d’ici se fraient un chemin entre ceux des multinationales et des marques maison. Le « virage » actuel devrait tabler sur son passé plutôt que de le larguer.
Pour aller plus loin dans cette analyse, je vous invite à prendre connaissance de ma contribution au dernier numéro de la revie Interventions économiques, « Valeur ajoutée » : Graal du repositionnement stratégique de l’industrie agroalimentaire québécoise.
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