J’ai eu à la mi-mai un entretien avec Martin Lasalle, responsable de l’information du Sommet international des coopératives qui se tiendra en octobre prochain à Québec et Lévis. Sujets abordés : 1) le rôle des coopératives dans l’économie mondiale ; b) la dynamique internationale émergente dans ce mouvement ; 3) ce qui doit figurer dans la déclaration finale de ce sommet. Voici en mille mots les propos que j’ai tenus. Surprise : suite à cette parution, l’entrevue est remontée jusqu’au site de l’ONU portant sur les coopératives (il s’agit de sa version en anglais). En voici des extraits :
Le mouvement coopératif est porteur d’une nouvelle dynamique à l’échelle mondiale, selon le sociologue québécois Louis Favreau. Selon lui, « les multinationales devront composer avec ce nouvel acteur politique ».
Dans une entrevue qu’il nous a accordée, il expose le contexte de cette nouvelle dynamique qui se manifeste depuis une décennie et qui prend son erre d’aller en cette Année internationale des coopératives.
Quel rôle les coopératives jouent-elles dans l’économie mondiale?
Les coopératives ne sont pas là pour remplacer ce que Ricardo Petrella nomme si justement l’« économie capitaliste de marché ». Elles peuvent cependant offrir une alternative et endiguer l’influence du modèle économique dominant dans plusieurs secteurs, comme on le voit en finance et dans l’agriculture.
En occupant ensemble 10 % du marché de l’emploi, 10 % de la finance et 10 % du PIB dans un très grand nombre de pays de la planète (et parfois plus, comme c’est le cas des pays scandinaves!), les coopératives peuvent en modifier sérieusement la structure économique.
À partir de ce seuil, les coopératives représentent un important levier pour que la région (ou le pays) puisse faire du développement durable sa priorité sur le plan socioéconomique. On évite ainsi l’épuisement des ressources et l’exode des régions. Une coopérative ne vit pas sans faire de profits, mais sa lucrativité est limitée et marquée par des préoccupations de bien commun, tant dans sa structure que dans sa mission. La coopérative ne se délocalise pas et participe au développement d’une économie des territoires qui favorise la création et la distribution de la richesse.
Vous dites percevoir une nouvelle dynamique du mouvement coopératif avec laquelle les multinationales devront désormais compter. Que voulez-vous dire?
Le monde coopératif a trop longtemps été replié sur lui-même, mais depuis un certain temps, il s’exprime, se manifeste et se fait de plus en plus entendre dans l’espace public. On sent un énorme virage.
Par exemple, à l’échelle internationale, l’Alliance coopérative internationale (ACI) s’est grandement démocratisée et décentralisée depuis un peu plus d’une décennie grâce à l’ouverture de quatre bureaux régionaux sur autant de continents. L’Europe y joue toujours un rôle important, mais les autres continents ont une influence accrue et la présence des coopératives des pays du Sud est devenue plus manifeste.
D’autre part, les Rencontres du Mont-Blanc (RMB), devenues depuis peu un forum international, facilitent autant l’avancée du mouvement coopératif vers une reconnaissance plus large de son rôle auprès des institutions internationales, notamment lors du prochain Sommet de la Terre, qui aura lieu à Rio en juin. Bien que les attentes à l’égard du Sommet de la Terre sont plutôt faibles, ce « Rio+20 » sera déterminant pour trouver des pistes de solution pour se sortir de la crise économique et écologique dans laquelle le modèle économique dominant nous a tous plongés.
Dans toute cette dynamique, le Québec n’est pas en reste : le mouvement a organisé, en 2010, une importante conférence internationale, à Lévis. Et aujourd’hui, une de ses composantes, le Mouvement Desjardins, va encore plus loin en organisant un Sommet international des coopératives – en collaboration avec l’ACI et l’Université Saint Mary’s. Personne n’aurait cru une telle mise en branle possible il y a à peine 5 ans!
Cela dit, lors de la 5e édition des RMB, tenue à l’automne 2011, plus de 250 dirigeants de coopératives et de mutuelles provenant des cinq continents se sont réunis pour établir les bases d’une mobilisation qui permettra au mouvement coopératif d’être sur une lancée qui ira au-delà de 2012, notamment sur la question du développement durable. Et fait à noter : tout ce beau monde se parle, se croise, interagit, s’invite mutuellement. Le Mouvement Desjardins y a pris la parole, l’ACI aussi. La tenue du Sommet international des coopératives s’inscrit tout à fait dans cette nouvelle dynamique que la direction de l’organisation a bien l’intention de pérenniser.
À la fin du Sommet 2012, une Déclaration commune sera proposée aux participants. Si elle ne devait comporter qu’un seul élément, quel devrait-il être?
La déclaration doit clairement signifier que le mouvement coopératif prend acte de l’urgence écologique et qu’il affirme sa volonté d’intervenir fortement dans l’espace public.
Pour ce faire, les coopératives doivent « faire mouvement » afin que leur poids politique soit à la hauteur de leur poids économique.
Il faut qu’ensemble, elles affirment qu’elles font partie des solutions à la crise actuelle qui, à la différence de la crise des années 1930, est économique et écologique : une réponse qui serait uniquement économique, même engagée dans un développement durable, ne suffira pas. Cette réponse doit être adossée à une action politique pour influencer les pouvoirs publics et les institutions internationales.
Mais le défi est de taille. D’une part, la faible reconnaissance politique du mouvement coopératif découle en partie de la pression exercée sur les pouvoirs publics et les institutions internationales par la pensée capitaliste où domine le « tout au marché », et par les lobbies associés aux multinationales. D’autre part, il y a au sein même du mouvement coopératif une faible capacité à prendre une parole collective et offensive, à « faire mouvement », comme le dit si bien le vice-président du Crédit coopératif français, Hugues Sibille.
Faire mouvement sur le terrain économique et politique : voilà le grand défi qui s’impose pour pouvoir mettre à l’ordre du jour la nécessité de prendre acte de l’urgence écologique et d’affirmer une volonté d’intervenir fortement dans l’espace public.
* Louis Favreau est sociologue et professeur à l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Son champ de recherche et d’expertise est centré sur les coopératives et les entreprises collectives, les mouvements sociaux et l’organisation communautaire. Son dernier ouvrage, intitulé Économie et société : pistes de sortie de crise (corédigé avec Ernesto Molina), a été publié en 2011. Il a également un blogue sur internet.
On peut lire la version originale de l’entrevue sur le site du Sommet.
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