La crise financière, amorcée par l’effondrement du marché des titres adossés à des créances hypothécaires, a mis en lumière le rôle moteur joué par l’endettement des ménages dans la sphère financière. En réduisant ensuite la capitalisation des régimes de pension et des placements individuels en vue de la retraite, la crise a aussi mis en évidence un autre type de participation des ménages aux marchés financiers, soit le placement actif de leur épargne et la hausse de leur détention patrimoniale d’actifs financiers.
Depuis une trentaine d’années, l’épargne d’un nombre croissant de ménages nord-américains, notamment encouragée par des incitatifs fiscaux comme le Régime enregistré d’épargne-retraite, alimente les marchés financiers et rejoint en ceci l’épargne salariale déjà canalisée par les fonds de pension. Au centre de cette mobilisation de l’épargne des ménages et de son placement sur les marchés financiers se trouvent les fonds communs de placement (FCP). Au sein du secteur des services financiers canadiens, ce sont eux qui ont connu la plus forte croissance durant l’euphorie boursière des années 1990, croissance par ailleurs légèrement plus marquée au Québec que dans le reste du Canada à partir de la deuxième moitié de cette décennie où les FCP ont déclassé tous les autres produits de valorisation de l’épargne.
La montée fulgurante des FCP implique deux grandes transformations de nature socio-économique. La première de ces transformations renvoie à l’affectation de l’épargne des ménages. Les FCP favorisent un déplacement de l’épargne depuis les dépôts bancaires et les obligations vers des formes de placements plus actifs, notamment sur les marchés d’actions. Cette tendance lourde est favorisée par des politiques fiscales encourageant l’épargne et équivalant à des subventions indirectes à l’industrie de la gestion de portefeuille. La modification de la réglementation et le décloisonnement des institutions financières ont aussi facilité ce déplacement de l’épargne par la création de conglomérats habilités à offrir et à fusionner tous les services financiers.
Parmi les 10 premiers gestionnaires canadiens de FCP se retrouvent ainsi des sociétés de gestion affiliées à des banques à charte, une compagnie d’assurance-vie, des sociétés de fiducie, des sociétés de gestion contrôlées par un holding et des sociétés de gestion indépendantes. Malgré cette apparente diversité, l’industrie des FCP est très concentrée. À la fin de 2010, ces mêmes 10 joueurs contrôlaient à eux seuls environ 80 % des actifs totaux des FCP. Ces derniers étaient alors évalués à 635 milliards de dollars, soit environ 27 % de la richesse financière des Canadiens. En captant et concentrant ainsi l’épargne des ménages, les gestionnaires de FCP arrivent à dominer certains marchés. Cela leur permet d’effectuer une nouvelle forme d’intermédiation entre l’épargne, le financement des entreprises et la sphère financière. Contre la thèse répandue de la désintermédiation des marchés, il est nécessaire d’insister sur cette nouvelle forme d’intermédiation fondée sur la captation, la concentration et la gestion de l’épargne. Elle nous apparaît être une caractéristique centrale du processus de financiarisation.
Une seconde grande transformation s’observe avec la généralisation des rapports sociaux de placement qu’implique la montée des FCP. Dans la foulée de la marchandisation de ce produit financier, de nouvelles catégories d’investisseurs émergent et font leur entrée sur les marchés financiers. Plusieurs observateurs s’intéressant à la portée sociale et politique de ce phénomène y voient, avec enthousiasme, une forme de démocratisation de la finance. En analysant les formes institutionnelles et organisationnelles prises par cette diffusion, nous pensons pour notre part qu’il s’agit d’abord d’un processus de massification. Faisant suite à la production et la consommation de masse, nous assisterions ainsi à l’émergence d’une finance de masse. D’un point de vue formel, nous observons la constitution de gigantesques fonds de placement dont la force de frappe sur le reste de l’économie est assurée par la formation d’immenses masses d’épargne. D’un point de vue sociologique, nous assistons à la captation de l’épargne des masses par des intermédiaires financiers qui en assurent le contrôle et sur qui les épargnants sont dépourvus de tout pouvoir.
Ces intermédiaires, que nous pourrions considérer comme des élites financières pour conserver l’opposition élite/masse chère aux théories de la massification, entretiennent un rapport aux placements financiers différencié et parfois contradictoire envers les épargnants de masse. Des rapports antagoniques et une opposition structurelle et organisationnelle nous semblent ainsi donner forme à l’entrée des masses sur les marchés financiers. L’observation de pratiques de gestion concrètes nous amène à opposer l’autonomie et un certain activisme des élites gestionnaires à la passivité qui caractérise les épargnants de masse une fois qu’ils ont cédé les pleins pouvoirs aux premiers contre une promesse de rendement et de liquidité. À notre avis, il s’agit à la fois d’un des fondements et d’une des conséquences de redistribution généralise des rapports de pouvoir que nous associons, là encore, au processus de financiarisation de l’économie.
Pour une analyse beaucoup plus détaillée, vous pouvez consulter mon article paru dans le dernier numéro de la revue Interventions économiques. Cette revue scientifique, entièrement et gratuitement disponible en ligne s’intéresse aux débats théoriques en économie politique et en socio-économie de même qu’à l’évolution et aux transformations socio-économiques des sociétés actuelles. Son dernier numéro, dans lequel s’inscrit mon texte, s’intitule « Économie politique du Québec contemporain. Une perspective sectorielle » et a été dirigé par Frédéric Hanin et François L’Italien. Ce numéro est consacré au renouveau de l’analyse mésoéconomique des industries et des secteurs qui connaît actuellement un certain retour en force, et ce, tant sur le plan théorique que sur le plan de l’élaboration des politiques de développement économique. Bien que variées, les approches sectorielles qui y sont présentées partagent une conception générale des secteurs économiques en tant que constructions politiques et sociales. Les articles qui y sont rassemblés questionnent plus spécifiquement le modèle de développement économique du Québec à partir de l’évolution de ses principaux secteurs d’activités et de ses grandes filières industrielles depuis la fin des années 1990. Cet exercice vise aussi à contribuer à la réflexion sur le renouveau de ses politiques industrielles.
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