Les coopératives ont-elles l’ADN du développement durable ? C’est la prétention de plusieurs dirigeants du mouvement coopératif et de l’économie sociale et solidaire en général qui ne cessent d’utiliser cette image. Si l’image est parlante, elle a le défaut de considérer implicitement que c’est «naturel». Or, rien n’est moins naturel que cette option du développement durable même si la capacité d’y adhérer peut s’en trouver facilitée au sein des coopératives par leur mode de fonctionnement démocratique et leurs finalités sociales. Riccardo Petrella qui sera l’un des conférenciers émérites au Sommet international des coopératives d’octobre prochain a des choses à dire à ce propos. L’économiste, politologue et altermondialiste, accordait une entrevue sur le site du dit Sommet sur cette question. Comme on le verra, il a son franc-parler…et vise juste. Le développement durable, ce n’est pas une évidence ! Pour aucun mouvement d’ailleurs. Quel avenir pour les coopératives? Là aussi il se fait clair : çà dépend du type de réponses qu’elles offrent/offriront face à l’«économie capitaliste de marché». En peu de mots, un entretien stimulant et interpellant.
Que pensez-vous de la contribution des coopératives dans le développement durable?
Historiquement, les coopératives ont tenté d’influencer la condition humaine et sociale. La culture des coopératives vis-à-vis de l’environnement n’était pas très marquée avant les années 1980-1990. La préoccupation était présente, mais d’une manière marginale. Par la suite, on a vu émerger 2 tendances qui ont conduit les coopératives à s’intéresser de manière plus structurelle aux questions du développement durable : les écovilles et la nouvelle agriculture.
Les écovilles – réconcilier la ville avec la nature – ont donné lieu à la transformation et à la revitalisation de quartiers abandonnés, ainsi qu’à la construction de nouvelles zones urbaines. C’est alors qu’on a assisté à la création de bon nombre de coopératives d’écohabitation. On a aussi vu apparaître des initiatives visant à préserver et à ranimer les écosystèmes urbains notamment dans les bidonvilles, dans un souci d’autosuffisance alimentaire, de réintégration sociale et de reconstruction de formes communautaires.
De leur côté, bon nombre de coopératives agricoles se sont « désagriculturisées ». C’est-à-dire qu’elles sont revenues à une agriculture plus traditionnelle, orientée vers l’alimentation locale, plus respectueuse de l’environnement : c’est ce qu’on a appelé l’agriculture durable, la bioagriculture, l’agriculture des territoires, km zéro. Mais attention! Le besoin de créer une coopérative agricole ces derniers temps a souvent été animé par un souci, tout à fait compréhensible et légitime, d’accès à une alimentation plus saine que par un souci de préservation de l’environnement.
Oui, globalement, les coopératives ont aujourd’hui une bonne influence en matière de développement durable, mais ce ne sont pas nécessairement elles qui ont été les premières et les plus innovantes à cet égard. Mais elles peuvent et doivent en faire davantage!
Quel rôle les coopératives sont-elles appelées à jouer à l’avenir, en particulier d’un point de vue économique et social? Prendront-elles plus de place, selon vous?
Pour répondre de manière claire à la question, le point clé est de savoir si les promoteurs du modèle coopératif pensent que le système économique qui domine aujourd’hui – l’économie capitaliste de marché – est réellement en crise et a échoué dans sa capacité de garantir un fonctionnement correct, juste, équitable, constructif des « règles de la maison » en matière « d’économie ».
Est-ce qu’ils croient que la crise économique – qui n’est pas la seule crise actuelle – est transitoire et qu’elle sera résolue grâce à une relance de la croissance mondiale à l’aune de l’économie verte? En outre, pensent-ils qu’il n’y a pas réellement d’alternative à l’équation capitalisme-financiarisation-économie de marché et que, dans ce contexte, une coopérative doit aussi s’inspirer d’une culture entrepreneuriale reposant sur des objectifs de performance, d’efficacité et d’efficience sur le plan financier, et d’innovation sur les marchés concurrentiels locaux, nationaux voire internationaux?
Si tel était le cas, il me semble qu’un modèle coopératif, intériorisant les mêmes paradigmes de l’entreprise capitaliste de marché, ne sera pas très différent des entreprises privées qui affirment – presque toutes! – que leur mission repose sur des valeurs humanistes, sociales et environnementales. La différence qu’apporteront les coopératives sera alors minime.
En revanche, si les coopératives prennent acte que le système capitaliste de marché – qui a conduit à la situation humaine et sociale dramatique de ces dernières années et aux dévastations de la planète Terre que l’on connait – est en échec structurel et qu’il ne répond plus aux besoins de l’humanité, on pourrait alors assister à l’émergence d’une nouvelle forme de coopératives qui organiseraient la production de la richesse, notamment collective, par la promotion des biens communs et la prestation des services publics d’intérêt général indispensables au « vivre ensemble ».
La coopération doit devenir la vraie réponse aux besoins, puisque les 40 dernières années ont démontré que la compétition est une démarche erronée qui a provoqué de multiples catastrophes sociales, économiques et écologiques.
L’économie capitaliste de marché est en faillite, incapable de résoudre les problèmes qu’elle a créés. C’est la financiarisation de cette économie et la marchandisation de la vie imposée par les logiques du capital et des marchés qui sont les principales responsables des crises permanentes des 20 dernières années, non pas les citoyens, les consommateurs, les Grecs, les dépenses de l’État ou la dette publique!
En ce sens, les coopératives ne doivent pas servir à panser les maux du capitalisme ni à venir au secours de l’économie de marché : elles sont des entreprises de biens communs. On ne peut pas sortir de la crise en renforçant le système qui l’a engendrée!
Si les coopératives avaient un message à livrer aux décideurs économiques mondiaux, quel devrait-il être?
Le métier des coopératives, c’est le « vivre ensemble ». Leur instrument, c’est les biens communs. Et leur finalité, c’est la sécurité et la richesse collectives.
À l’heure où les États ont de plus en plus tendance à se désengager de leurs responsabilités sociales de partage de la richesse et à déposséder les citoyens au profit de quelques riches corporations, la coopération prend tout son sens.
Coopérer, c’est redonner une nouvelle existence à la notion d’oeuvre qui a été abandonnée au XXe siècle, c’est-à-dire réaliser des oeuvres de créations collectives : « faire ensemble pour l’ensemble ».
L’oeuvre devrait être l’existence d’une coopérative au service du bien-être des membres et de la communauté dans laquelle elle évolue, dans le cadre de l’intercoopérativisme et dans une perspective humaniste – de l’humanité toute entière.
Quel est l’élément le plus important qui devrait être inclus dans la Déclaration commune qui sera présentée à la fin du Sommet?
La sécurité d’existence est un droit pour tous. Elle est collective ou elle n’est pas.
Il ne peut y avoir d’inégalité dans la sécurité d’existence, parce que chacun est un habitant légitime de cette planète et personne ne peut être considéré comme un clandestin sur la Terre.
On peut lire la version originale de l’entrevue sur le site du Sommet.
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