L’auteur invité est Karel Mayrand, directeur général pour le Québec de la Fondation David Suzuki.
Le Québec importe annuellement pour 14 milliards de dollars de pétrole en provenance du Venezuela, de l’Algérie et de la Norvège, ce qui creuse notre déficit commercial. Deux idées se chevauchent depuis quelques années au Québec pour réduire cette dépendance au pétrole importé. La première est de combler notre demande intérieure en exploitant les ressources pétrolières enfouies dans le sous-sol de la Gaspésie, d’Anticosti ou du golfe Saint-Laurent. La seconde veut que le Québec cherche plutôt à diminuer sa dépendance au pétrole en s’attaquant au secteur des transports et à l’étalement urbain.
Bien que les deux options ne soient pas mutuellement exclusives, elles sous-tendent deux visions de l’avenir du Québec : une qui axe notre développement sur l’exploitation extensive des ressources naturelles, et l’autre qui vise à rendre l’économie québécoise plus efficace au plan énergétique, donc plus productive et innovante. Les deux méritent considération.
Le Québec puissance pétrolière ?
Le Québec est en proie depuis quelques années à une fièvre de nationalisme pétrolier. Nombreux sont ceux qui voient notre dette fondre comme les glaces de l’Arctique si le Québec se lançait dans l’aventure pétrolière. Le Québec considère présentement se lancer dans l’exploitation pétrolière à Anticosti, en Gaspésie et dans le golfe du Saint-Laurent qui pourraient renfermer des quantités importantes d’hydrocarbures. Il importe cependant de rappeler que les réserves que renfermeraient ces gisements potentiels ne sont toujours pas prouvées et que la manne pétrolière demeure bien incertaine. Les activités exploratoires en cours permettront de déterminer le potentiel commercialisable, qui pourrait s’avérer moins important que prévu. Un signe de cette incertitude est certainement l’absence de majors pétrolière dans le dossier. Le pétrole québécois est encore exploré par des compagnies juniors, Corridor Resources et Petrolia.
Il faut également préciser que plus d’une décennie peut s’écouler entre la découverte d’un gisement et son exploitation commerciale. Les ressources pétrolières du Québec ne peuvent donc pas combler nos besoins financiers ou réduire notre dépendance au pétrole à court terme. Par ailleurs, il faut briser un mythe tenace : il est géologiquement impossible pour Terre-Neuve de siphonner le pétrole québécois au gisement potentiel Old Harry. Le Québec a donc tout son temps pour compléter ses études environnementales, consulter la population et se donner un cadre réglementaire approprié. À cet égard, pour exploiter Old Harry le Québec doit compléter son évaluation environnementale stratégique et négocier la création d’un office pétrolier avec le gouvernement fédéral.
Le déploiement de l’industrie pétrolière dans le golfe, à Anticosti et en Gaspésie soulève d’importantes inquiétudes socio-économiques et environnementales. En outre, les Madelinots s’inquiètent des impacts de déversements, fréquents dans l’industrie, sur le tourisme et les pêcheries qui génèrent annuellement 400 millions de dollars de retombées dans la portion québécoise du golfe. La Fondation David Suzuki a réalisé des simulations de déversement qui démontrent que les communautés côtières de l’ensemble du golfe seraient à risque d’être touchées lors de déversements de moyenne envergure. Cela est du au fait que le golfe Saint-Laurent est une mer semi-intérieure six fois plus petite que le golfe du Mexique et qui est parcourue de courants circulaires. En outre il serait virtuellement impossible d’y récupérer le pétrole déversé en hiver. Finalement, plusieurs se questionnent sur la capacité du Québec de maintenir ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre s’il se lançait dans l’industrie pétrolière.
Un Québec indépendant… du pétrole ?
Depuis quelques années, la dépendance au pétrole importé se pose comme un enjeu stratégique dans la plupart des sociétés industrialisées, notamment aux États-Unis. Le pétrole représente environ 40 % de la consommation énergétique du Québec, soit l’équivalent de sa consommation d’électricité, et 60% de nos émissions de GES. Cette consommation place le Québec dans une position vulnérable au plan financier. Comme il s’agit d’une ressource qui s’épuise et dont les prix sont à la hausse, la fuite de capitaux de 14 milliards annuellement qui alimente notre demande en pétrole ira inévitablement en s’accentuant, affectant de plus en plus lourdement notre déficit commercial, notre économie et le budget des ménages. Autrement dit, si l’on ne réduit pas significativement notre consommation, nous sommes condamnés à devoir payer de plus en plus cher pour cette ressource, et à se priver ainsi de ces précieux capitaux qui pourraient assurer notre développement et créer des emplois ici.
De plus, si on ajoute les coûts de la dépendance à l’automobile à celle de notre dépendance au pétrole, c’est 25 milliards par année que le Québec doit payer pour le couple pétrole-auto. À long terme cette dépendance est tout simplement insoutenable. Sans compter que le secteur des transports accapare à lui seul 43% de nos émissions de GES, ce qui en fait l’enjeu fondamental de la lutte aux changements climatiques au Québec. Malgré cela, les investissements dans les transports ont été massivement concentrés dans le secteur routier depuis une décennie, aggravant ce phénomène. Le Québec compte aujourd’hui plusieurs centaines de milliers de véhicules de plus qu’en 2000 et l’étalement urbain continue de nourrir la congestion routière qui coûte 1,5 milliard $ annuellement à Montréal seulement. Il est impératif de s’attaquer de front aux transports collectifs et à l’aménagement urbain.
Le Québec dispose de plusieurs atouts qui pourraient lui permettre de devenir un leader des transports durables. En outre, des investissements en transport collectifs génèrent 2,8 fois plus d’emplois et 2,6 fois plus de valeur ajoutée que des investissements dans le secteur automobile et routier, sans compter les gains associés à la réduction de la congestion routière et à la réduction de la consommation de pétrole. La perspective de l’électrification des transports ouvre aussi des créneaux technologiques de pointe pour l’industrie québécoise. Les transports durables ont le potentiel de former un plan de développement économique pour le Québec.
Quelle vision pour l’avenir ?
Le Québec fait présentement face à un choix stratégique fondamental : devenir, dans une décennie, un producteur de pétrole, ou amorcer dès maintenant des virages en transport et aménagement du territoire qui lui permettront de réduire sa dépendance au pétrole, et la vulnérabilité de son économie à des chocs pétroliers inévitables. Car même si le Québec devenait producteur de pétrole, il continuerait de payer son pétrole au cours mondial et demeurerait vulnérable à la hausse des cours de l’or noir.
Pour cette raison , les gains reliés à une diminution de notre dépendance au pétrole risquent d’être supérieurs à ceux découlant d’une éventuelle exploitation pétrolière, et surtout mieux distribués dans l’ensemble des secteurs de l’économie plutôt qu’à la seule industrie pétrolière. Le chantier de la réduction de notre dépendance au pétrole a aussi un meilleur potentiel de création d’emploi dans les secteurs à forte valeur ajoutée. Surtout, la manne pétrolière demeure incertaine et éloignée dans le temps alors que les gains économiques d’une réduction de notre dépendance au pétrole peuvent être réalisés à cour terme.
Finalement, alors que les scientifiques sonnent plus que jamais l’alarme à propos d’un dérèglement imminent et irréversible du climat mondial, la réduction de notre consommation de pétrole est une avenue responsable aujourd’hui et pour les générations futures. Les avantages du chantier de l’indépendance au pétrole sont donc évidents et le Québec serait mal avisé de ne pas saisir cette occasion.
Pour lire le texte original, on va sur le site de GaïaPresse.
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