Dans une note d’intervention de l’IREC paru hier, nous présentons de manière détaillée les enjeux financiers autour de la politique du médicament du Québec. Particulièrement, en démontrant les impacts négatifs de la règle des 15 ans, qui favorise l’industrie aux dépens des finances publiques. Cette démonstration nous amène à proposer qu’il est temps pour le Québec de redéfinir ses objectifs et ses stratégies dans le domaine du médicament, avec la possibilité de diminuer les coûts d’un peu plus de 1 milliard $ annuellement.
Une politique du médicament avec une préférence industrielle
Au moment de la mise en place du régime public d’assurance médicament (RPAM), en 1997, il était prévu que le Québec complète sa démarche de proposition globale et cohérente des orientations et des stratégies concernant l’accès, le prix et l’utilisation optimale des médicaments, par une politique du médicament. Ce ne sera pourtant qu’à la fin 2004 que le gouvernement déposera ce projet de politique du médicament, qui sera définitivement adopté en 2007. Sur les quatre axes autour desquels s’articule la politique du médicament, le dernier s’articule autour du maintien de la règle des 15 ans qui s’applique aux médicaments innovateurs.
Cette règle fait en sorte qu’un médicament sous brevet inscrit à la Liste des médicaments sera remboursé intégralement pendant 15 ans, et ce même si un médicament moins coûteux de même type est également inscrit sur la liste. Il s’agit d’une protection qui s’ajoute à celle du brevet puisqu’en général les médicaments sont en moyenne inscrits à la Liste des médicaments 10 ans après l’obtention du brevet, alors que celui-ci offre une protection pour une durée totale de 20 ans. Partout ailleurs au Canada, il n’y a que la protection pour la durée du brevet. Au Québec, ce n’est qu’après la période de 15 ans que la politique du prix le plus bas s’applique et que seul le médicament le moins coûteux est remboursé par la RAMQ.
Il s’agit donc d’une mesure de la politique du médicament qui a une préférence industrielle, qui vise à encourager l’installation au Québec d’entreprises innovatrices plutôt que de santé publique. Et son coût est élevé. Il est possible d’avoir une idée précise du coût de la règle des 15 ans puisqu’une compensation directe est accordée par le MSSS à la RAMQ pour la non-application intégrale de la politique du prix le plus bas. Comme on peut le voir sur le graphique ici-bas, le transfert en 2001 était de 9 M$ et atteignait 158,3 M$ en 2011. Cette croissance importante s’expliquerait par le fait que plusieurs brevets importants étaient à échéance pendant ces années, enchérissant ainsi le coût de la règle des 15 ans.
La politique industrielle en faveur de l’industrie pharmaceutique
Mais l’État québécois intervient de plusieurs autres manières pour favoriser le développement de l’industrie pharmaceutique au Québec. La stratégie biopharmaceutique québécoise est l’une d’elles, en complément à la Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation (SQRI). Cette stratégie mise principalement sur les outils fiscaux à coups de crédits d’impôts et de subventions directes pour favoriser la R-D pharmaceutique. Des crédits d’impôt sont appliqués aux salaires de 37,5 % sur la R-D faite en PME. Pour les grandes sociétés publiques ou sociétés sous contrôle étranger, un taux de 17,5 % s’applique sur les salaires. Il faut noter que s’y ajoutent des crédits d’impôt de 20 % à 35 % octroyés par le gouvernement fédéral selon la taille et le contrôle des compagnies pharmaceutiques. Marc-André Gagnon (2012) estime que les entreprises pharmaceutiques ont reçu un total de 233 M$ en crédits d’impôt pour la R-D en 2010. Le gouvernement du Québec entend par ailleurs dépenser entre 122,77 M$ et 176,77 M$ sur 3 ans dans le cadre de sa stratégie en faveur de l’industrie biopharmaceutique (MDEIE).
Pourtant, malgré ces efforts considérables déployés pour créer un environnement d’affaires dynamique et favorable aux investissements (subventions, crédits d’impôt à la R-D et aux ressources humaines, aide au capital de risque), l’industrie a plutôt stagné. On constate dans le graphique suivant que la R-D biopharmaceutique québécoise a décliné au cours des dernières années.
Le secteur biopharmaceutique a aussi connu une importante hémorragie d’emplois au cours des récentes années. De plus, les investissements en capital de risque dans les Sciences de la vie ont été en baisse continue depuis 2006, de sorte que la place du secteur comme destination des investissements a connu une détérioration majeure. En 2006 le secteur détenait la première place avec près de 45 % de tous les investissements de l’industrie du capital de risque alors que depuis 2009, avec une part qui se maintient autour de 20 %, les investissements en capital de risque dans les sciences de la vie au Québec se retrouvent derrière les secteurs des TI et les secteurs traditionnels.
Nos recommandations
Les tendances lourdes sur la consommation de médicaments et sur les coûts que nous avons identifiées dans notre note d’intervention plaident pour que le Québec redéfinisse ses objectifs et ses stratégies en adoptant une nouvelle approche dans le domaine du médicament. Cette approche devrait être fondée sur une plus grande indépendance de celle-ci face à l’industrie biopharmaceutique. Pour assurer cette nouvelle approche, il faudrait selon nous éliminer l’axe 4 de la politique du médicament et travailler à la réduction de l’influence de l’industrie pharmaceutique sur les professionnels de la santé.
Nous pensons qu’un régime public de couverture universelle des médicaments s’avèrerait une mesure intéressante à étudier si l’on veut assurer une équité dans l’accessibilité aux médicaments ainsi qu’un véritable contrôle des coûts. Selon les données de l’OCDE, les régimes hybrides qui sont apparus au Québec et dans le ROC font en sorte que le Canada est le pays où les prix de détail des médicaments sont les deuxièmes plus élevés dans le monde avancé, devancé seulement par la Suisse. Par contre, des gouvernements qui ont mis en place des régimes universels accompagnés de politique d’achat centralisé, comme celui de la Nouvelle-Zélande, se distinguent par les prix de médicaments les plus bas.
Selon une étude récente de Marc-André Gagnon, un régime public universel d’assurance médicaments pour tous les Canadiens pourrait réduire de 10 % à 42 % – soit jusqu’à 10,7 milliards de dollars – les dépenses en médicaments d’ordonnance. Selon le scénario 2 établi dans cette étude (mise en place d’un régime universel et élimination de la règle des 15 ans), la réalisation de ces mesures entraînerait une diminution nette des coûts de médicaments de près de 3 milliards $ pour l’ensemble des Canadiens, en plus d’économies supplémentaires de 1,5 milliard $, découlant principalement de la fin des subventions fiscales octroyées aux assurances privées dans le système actuel. En considérant que la part du Québec dans les dépenses en médicaments au Canada est de près de 26 %, ce scénario représente une diminution des coûts d’un peu plus de 1 milliard $ annuellement.
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