L’auteur invité est André Bélisle, directeur de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA)
Le 4 juillet dernier, Sophie Cousineau de La Presse rédigea un article qui exposait l’idée que l’abandon de la construction de la centrale du Suroît fut une erreur historique commise par le Québec. Suite à cette publication, le président de l’AQLPA André Bélisle s’est fait un devoir de porter à l’attention de madame Cousineau une série d’erreurs factuelles contenues dans son éditorial. Nous diffusons ici un large extrait de la réponse à cet article.
« Tout d’abord, nous vivons toujours une période de surplus d’hydroélectricité et c’était bien le cas aussi en 2002 lors de l’annonce du projet de monsieur Caillé de construire 12 centrales au gaz pour des besoins obscures… pour le Québec ou pour les États-Unis ??? Ces surplus seront là pour encore de très nombreuses années au moins jusqu’en 2020.
Nous avons pu démontrer clairement en 2002 à la Régie de l’énergie entre autres et même avant qu’en matière de conservation de l’énergie, il y avait l’équivalent de 6 centrales Le Suroît en pur gaspillage d’énergie au Québec. On parle ici de l’énergie que l’on gaspille par la perte de chaleur due à la mauvaise isolation des bâtiments.
On savait aussi qu’en matière d’efficacité énergétique, on pouvait récupérer beaucoup d’énergie par une meilleure efficacité des équipements, gros et petits, ainsi que par des mesures élémentaires d’amélioration de nos habitudes de consommation. Par exemple, un frigo des années 2000 consomme généralement entre 50 et 80 % moins d’énergie qu’un frigo des années 80-90 pour rendre le même service et c’est aussi vrai pour une multitude d’appareils électriques maintenant. Les surplus au Québec sont en partie la conséquence de la mise en œuvre de mesures efficaces de conservation et d’efficacité énergétique…
Il faut par ailleurs savoir que l’état de New York a adopté depuis la fin des années 90 une grille de classification des tarifs qu’il accepte de payer en matière d’achat d’énergie domestique et “importée”. Cette grille favorise l’achat d’énergie provenant de la conservation, de l’efficacité énergétique et des énergies vertes comme l’éolien et solaire. L’état de New York a découvert à cette époque une quantité fabuleuse d’énergie qui était gaspillée auparavant. L’hydroélectricité est reconnue selon cette grille comme une énergie moins “propre” que les précédentes et plus “propre” que l’électricité produite par le gaz, le pétrole, le charbon et le nucléaire.
Donc, Hydro-Québec s’est retrouvé confrontée à un problème important face à ses exportations avec la centrale Bécancour qu’elle aurait connu de façon encore plus aiguë avec la centrale Le Suroît sans parler des dix autres projets de monsieur Caillé qui auraient vu le jour sans nos interventions pour que la logique prévale tant au niveau écologique et qu’économique.
L’hydroélectricité qu’Hydro-Québec exporte vers l’état de New York s’est vu “déclassée” monétairement parce qu’elle était associée à de l’énergie moins propre produite ou rendue disponible par le recours aux énergies fossiles plus dommageables pour l’environnement. On parle ici de l’électricité produite par la centrale au gaz de Bécancour et l’achat de l’énergie produite par les centrales au charbon de l’Ontario la nuit.
Cette réalité n’a jamais vraiment été publicisée, mais elle est intimement liée au choix d’Hydro-Québec de ne plus acheter d’électricité de la centrale de Trans-Canada Énergie à Bécancour afin de perdre moins d’argent sur ses exportations. Quant aux centrales au charbon de l’Ontario, la plupart d’entre elles ont été fermées depuis. Au cours de l’année 2008, Hydro-Québec a eu à absorber une perte de l’ordre de 250 000 000 $ sur la valeur de ses exportations aux États-Unis principalement avec l’état de New York. Il lui revenait donc moins cher de payer 150 000 000 $ par année pour que cette centrale au gaz ne produise pas. Quand on fait le calcul aujourd’hui, c’est plus de 1 000 000 000 $, UN MILLIARD DE DOLLARS gaspillé…
La centrale de Bécancour produisit 500 mégawatts la seule année qu’elle a été en fonction et elle a émis 1 800 000 tonnes de CO2, ce sur quoi je reviendrai plus loin.
La centrale Le Suroît aurait produit 640 mégawatts et 2 400 000 tonnes de CO2 annuellement, donc les pertes pour Hydro-Québec auraient été plus importantes encore.
Nos interventions depuis le milieu des années 90 avaient mis en lumière ces préoccupations dans notre démarche pour obtenir un débat public sur l’énergie au Québec. Ce débat a bien eu lieu en 1995 et les commissaires ont retenu la pertinence de faire d’abord le plein d’énergie via les mesures de conservation, d’efficacité énergétique et le développement des énergies vertes. Le développement hydro-électrique pouvait quant à lui être mis en veilleuse le temps de procéder avec les mesures mentionnées plus haut.
Les experts du débat public recommandaient l’abandon pur et simple du nucléaire et du thermique. Malheureusement, il importe de rappeler qu’en matière de production d’énergie, le Québec est devenu aveugle suite aux interventions de messieurs Lucien Bouchard, Bernard Landry et André Caillé pour soustraire la production d’énergie de l’analyse de la Régie de l’énergie et donc, de la connaissance du public.
John Burcome du Mouvement Au courant l’explique très bien dans sa propre réponse à Madame Cousineau dont les propos ont fait bondir aussi: « Le BAPE, suite aux audiences publiques sur le projet (de Bécancour ), a conclut alors que : La construction d’une centrale de cogénération comme celle proposée par TransCanada Energy Ltd. à Bécancour correspond à un choix de dernier recours dans la stratégie québécoise de réduction des gaz à effet de serre et dans la Politique énergétique du Québec. La commission est d’avis que ce choix ne se justifie que si toutes les autres possibilités ont été épuisées. Or, la démonstration n’a pas été faite à ce jour.
Néanmoins, le gouvernement et Hydro-Québec ont fait fi de ce constat et nous, les contribuables, faisons les frais de cette mauvaise décision.
Le vrai problème remonte à l’an 2000… Il s’agit de l’adoption de la loi 116 qui a enlevé à la Régie de l’énergie le pouvoir de règlementer la production d’électricité à l’encontre du consensus sur la règlementation de l’électricité par la planification intégrée des ressources énoncée dans le rapport Pour un Québec efficace suite au débat public sur l’énergie de 1995. »
Au tournant des années 2000, le Québec a pris l’engagement de réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans le cadre de l’Accord et du Protocole de Kyoto. Dès lors, la production d’électricité au gaz était pour ainsi dire condamnée, car le potentiel en énergies propres était largement suffisant pour assurer un développement souhaitable à long terme pour l’environnement et l’économie. Toute production thermique amènerait de nouvelles et importantes sources de gaz à effet de serre qu’il aurait fallu compenser de toute façon, sans parler des conséquences en matière de pollution de l’air, de smog, de pluies acides, de destruction de la couche d’ozone et de réchauffement climatique.
Donc, le Québec a eu raison d’abandonner la centrale Le Suroît et les dix autres projets du genre. Malheureusement, il fit l’erreur de donner l’aval au projet de centrale de Bécancour avec les conséquences que l’on connaît maintenant.
Mais il y a pire encore :
Il faut savoir qu’au début des années 90, on a bâti une centrale au kérosène à Bécancour, la centrale TAG, pour assurer un approvisionnement d’urgence au cas où la centrale nucléaire de Gentilly 2 aurait des problèmes. Cette centrale TAG n’a jamais fonctionné et elle aurait pu produire quelque 300 mégawatts. Encore pire, des ingénieurs d’Hydro-Québec avaient proposé, en vain, de modifier cette centrale pour quelque 200 000 000 $ afin qu’elle fonctionne au gaz au lieu de bâtir la centrale de Bécancour… ???!!!
Mais au fond, la vraie question c’est qu’il n’y rien de logique, de souhaitable et de rentable à produire de l’énergie en pure perte et à fermer les yeux sur les problèmes environnementaux que cela cause… »
Pour lire l’Article de Sophie Cousineau, on clique ici.
Pour lire le texte original, on va sur le blogue de l’AQLPA.
Discussion
Pas de commentaire pour “André Bélisle réplique à l’article “Du gaz dans l’eau” de Sophie Cousineau”