René Audet – Chercheur à la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable de l’Université du Québec à Montréal; Patrick Bonin – Directeur climat-énergie à l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA)
La compréhension actuelle de la crise écologique est on ne peut plus claire : notre modèle de développement est insoutenable tant du point de vue économique, écologique que social. Les bouleversements des systèmes de la biosphère sont d’une telle ampleur qu’une large partie de la communauté scientifique n’hésite plus à parler de l’arrivée de « l’anthropocène », une nouvelle époque géologique caractérisée par l’impact prédominant de l’activité humaine.
Face à cette réalité, l’humanité n’a d’autres choix que d’effectuer une transition écologique, c’est-à-dire transformer profondément ses systèmes économiques, technologiques, politiques et sociaux en vue d’une stabilisation de l’état des écosystèmes, puis de leur restauration. Cette transition devra également entraîner l’éradication de la pauvreté.
Or, l’humanité délègue largement cette responsabilité aux gouvernements du monde, lesquels manquent actuellement de volonté pour s’attaquer à la tâche. C’est le constat qui ressort de la Conférence des Nations unies sur le développement durable (Rio+20) dont la déclaration finale est loin d’être à la hauteur des défis de la transition.
Déclaration faible
Cette déclaration au langage politique très faible propose peu d’actions significatives et manque d’ambition.
Il y a bien l’annonce d’un processus multilatéral pour déterminer d’ici 2015 de nouveaux objectifs de développement durable donnant suite aux Objectifs du Millénaire pour le développement. L’intention formulée de développer un nouvel indicateur de croissance complémentant le PIB pour tenir compte de critères environnementaux et sociaux est aussi intéressante. À cela s’ajoutent des initiatives qui seront souvent d’adoption volontaire.
Pour le reste, il s’agit essentiellement d’ajustements à la marge de la gouvernance multilatérale de l’environnement. Avec le « renforcement » du Programme des Nations unies pour l’environnement et la création d’un Forum politique de haut niveau au mandat encore flou, nous sommes loin de l’Organisation mondiale de l’environnement qui est réclamée depuis plusieurs années.
Ce « renforcement » du cadre institutionnel n’arrivera jamais à porter les engagements environnementaux des États au même niveau de contrainte légale que les accords de l’Organisation mondiale du commerce. L’importance accordée à l’environnement et au commerce continue d’être déséquilibrée, au détriment évident du premier.
La déclaration de Rio+20 se démarque aussi par de nombreuses abdications. Des actions essentielles à l’amorce de la transition écologique, accompagnées d’objectifs ambitieux et d’échéancier clairs, ont été rejetées par les leaders mondiaux.
Parmi celles-ci : l’abolition urgente des 730 milliards de dollars en subvention aux combustibles fossiles, une aide financière accrue pour l’éradication la pauvreté et la transition dans les pays en développement, un engagement fort en vue de la protection des océans, une accélération de la lutte contre les changements climatiques et contre la perte de la biodiversité, etc.
Économie verte ?
La notion d’économie verte – qui accapare plus de trois pages de la déclaration – aurait d’ailleurs pu servir à élucider ce dilemme, ne serait-ce qu’en théorie. Mais l’économie verte n’aura jamais fait consensus et se trouve finalement dépouillée de toute ambition, voire de toute précision utile sur la signification même du terme.
L’économie verte est définie dans la déclaration en fonction de « ce qu’elle n’est pas » et de « ce qu’elle devrait être » : elle ne devrait pas constituer un ensemble de « règles rigides », et elle devrait respecter la souveraineté des États. C’est donc dire qu’elle est optionnelle et qu’aucune mesure ou stratégie précise n’est évoquée.
En fin de compte, on comprend de l’économie verte qu’elle devrait contribuer à « accomplir un développement durable dans ses trois dimensions » (le social, l’environnement et l’économie). Or, pourquoi inventer une nouvelle notion qui ne fait que dupliquer le développement durable, avec un pilier social affaibli ? Cela ne vient qu’ajouter une couche de confusion sur un concept de développement durable déjà souvent galvaudé.
Il faut admettre que la section sur l’économie verte a été largement amendée à la suite des interventions des pays en développement. Présentement, 1,4 milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’électricité, plus d’un milliard n’ont pas accès à l’eau potable et un milliard souffrent de la faim. Face à ces constats, les priorités des pays en développement sont d’assurer l’éradication de la pauvreté et d’obtenir du soutien pour leur transition écologique. Ils craignaient notamment que l’économie verte n’ouvre la porte à l’imposition de mesures protectionnistes par les pays développés et à de nouvelles conditions dans l’obtention de l’aide internationale.
Le gouvernement canadien
Encore une fois, le gouvernement canadien a été qualifié de « voyou » à Rio. Sur une série d’enjeux clés, le gouvernement Harper a contribué à torpiller les négociations : création d’une Organisation mondiale de l’environnement, accroissement de l’aide financière aux pays en développement, abolition rapide des subventions aux combustibles fossiles, création d’un traité pour la protection des océans, etc.
Le ministre Peter Kent aura aussi poussé l’arrogance jusqu’à affirmer que les groupes de la société civile tiennent un discours idéologique. C’est peut-être la raison qui pousse le gouvernement conservateur à bâillonner les groupes environnementaux canadiens avec le projet de loi C-38.
Notons qu’à Rio, contrairement à la pratique courante, la délégation canadienne a refusé de rencontrer officiellement les grandes organisations environnementales canadiennes. Voilà le type de décision qui contribue à la dynamique d’affrontement que le gouvernement conservateur qualifie d’idéologique.
Alors que le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon avait bien décrit le Sommet de Rio+20 comme « l’occasion d’une génération », le résultat constitue finalement un rendez-vous manqué.
Multilatéralisme et crise écologique
Plus petit dénominateur commun : c’est ce que représente la déclaration de Rio.
Il fallait préserver l’équilibre précaire entre les impératifs financiers, politiques et électoraux des puissances et des grands blocs. Voilà qui explique pourquoi la déclaration finale était déjà adoptée avant même l’arrivée des chefs d’État.
Ce résultat tend à accréditer encore davantage la thèse qui, depuis l’échec de Copenhague (2009), laisse entendre que le multilatéralisme doit s’adapter à l’ampleur et à la complexité de la crise écologique afin d’être plus efficace. Sinon, la légitimité de la gouvernance environnementale internationale continuera de s’en trouver affaiblie. Ce qui conforterait d’ailleurs certains gouvernements voyous…
Stratégies complémentaires
Faut-il donc développer des stratégies complémentaires pour amorcer la transition écologique ? Bien sûr, de multiples acteurs de la société y travaillent déjà, tant du côté des gouvernements infranationaux et locaux, des communautés, des entreprises innovantes que des organisations de la société civile. À Rio, le Sommet des peuples, qui se tenait en parallèle de la conférence de l’ONU et qui a rassemblé plus de 100 000 personnes, a contribué à l’émergence de telles alternatives.
Il y a aujourd’hui de plus en plus de partisans d’une transition dont le point de départ serait plus social qu’économique, qui mettrait l’accent sur l’équité et la communauté plutôt que sur la croissance et la technologie exclusivement.
À la lumière de l’expérience de Rio+20 et dans l’attente de chefs d’État plus responsables, la transition écologique nécessitera sans doute de donner davantage d’importance à ces stratégies alternatives.
Pour lire le texte original, on va sur le site du quotidien Le Devoir
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