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Le samedi 23 avril 2022

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« Il faut changer de logiciel »

L’auteur invité est Pierre Radanne, président de l’association 4D et animateur du collectif français des ONG Rio + 20. Propos recueillis par Guillaume Duval du magazine Alternatives Economiques [ce texte est paru dans le numéro de juin du magazine].

Le Sommet de Rio + 20 a été placé sous le signe de « l’économie verte ». Un choix contesté. Quel est votre avis à ce sujet ?

Ce choix est un contrecoup de la crise qui a replacé les questions économiques au coeur des préoccupations de la communauté internationale : l’économie verte est vue comme un moyen de convaincre les décideurs politiques et économiques d’agir sur le terrain environnemental en soulignant les opportunités d’emplois, de nouvelles activités, etc. que cela ouvrirait. Cela comporte néanmoins le risque de faire passer au second plan la dimension sociale ou les questions d’équité qu’impliquait la notion plus large de  » développement durable « , qui dominait l’agenda international depuis 1992. Ce risque existe et il faut veiller à l’éviter.

De nombreux pays du Sud redoutent aussi que cette thématique de l’économie verte ne soit un moyen détourné pour les pays industrialisés de prendre des mesures protectionnistes, prétextant des problèmes environnementaux pour limiter l’accès à leurs marchés. Rendre l’économie plus verte implique en effet de relocaliser davantage les économies, et cela peut susciter des tensions et des inquiétudes.

L’économie verte est aussi un concept très ambigu.

Oui, et les tentatives de définition menées jusqu’ici n’ont guère permis d’y voir plus clair pour l’instant. Ceci dit, le terme est nettement moins marqué que celui de croissance verte utilisé par certains, et cette ambiguïté n’a pas que des inconvénients. Le concept est en effet utilisable à la fois par les tenants de l’économie environnementale, qui ne veulent qu’amender le système à la marge pour le rendre moins destructeur, comme c’est le cas notamment de l’OCDE, et par les partisans d’une économie écologique qui, eux, remettent en cause les indicateurs économiques traditionnels et veulent transformer en profondeur le système autour, en particulier de l’économie circulaire ou de l’économie de fonctionnalité. Il ne tient qu’à nous de faire pression pour que la communauté internationale donne un contenu plus radical à l’économie verte que celui initialement prévu.

Rio + 20 devrait également lancer des Objectifs du développement durable (ODD). Cela semble une bonne idée, non ?

Oui, obliger les Etats à s’engager sur des objectifs chiffrés et suivre les progrès réalisés (ou non) seraient une avancée dans un processus qui, pour l’instant, génère surtout beaucoup de déclarations de bonnes intentions. Ceci dit, de tels objectifs chiffrés risquent toujours d’induire des effets pervers. Leur choix doit faire l’objet d’un travail approfondi et d’un large débat public. Pour l’instant, le sujet n’est pas encore suffisamment avancé pour que des décisions sortent de Rio + 20, qui devrait se contenter de lancer le processus.

Se pose aussi la question de l’articulation de ces ODD avec les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD)…

En effet. La communauté internationale s’était dotée en 2000 de huit objectifs dits du millénaire pour le développement censés être atteints d’ici à 2015. Ces objectifs sont surtout centrés sur la dimension sociale du développement (pauvreté, éducation, santé, égalité hommes-femmes, etc.), mais l’un de ces objectifs, décliné en quatre cibles, est aussi explicitement environnemental. Le processus des OMD arrive à échéance en 2015, et la question se pose de l’après. Le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) y travaille déjà de son côté. Quel serait alors le statut des futurs ODD ? Se substitueraient-ils aux OMD ? En seraient-ils un complément, en parallèle de ceux-ci ? La question n’est pas tranchée et soulève des problèmes délicats au sein du système complexe des Nations unies.

Justement, cette complexité et la faiblesse des institutions internationales sur le terrain environnemental sont aussi un des sujets majeurs de Rio + 20.

Une des raisons essentielles pour lesquelles les choses ont si peu avancé depuis le premier Sommet de Rio, il y a vingt ans, tient en effet à la faiblesse persistante des institutions internationales en charge des dossiers environnementaux comparées, par exemple, à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) avec son puissant Organe de règlement des différends (ORD) ou encore au Fonds monétaire international (FMI) sur le terrain de la finance. On observe pour l’instant une très grande fragmentation : la convention climat (qui gère le protocole de Kyoto) n’a par exemple que très peu de rapports avec le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue). Il en va de même pour les nombreux accords multilatéraux sur l’environnement, qui sont gérés chacun de leur côté et tendent à s’annuler les uns les autres.

Le Comité du développement durable (CDD), issu du Sommet de Rio de 1992 et chargé du suivi de ces sommets, reste un organe politique très faible. Il faudrait le transformer en un Conseil du développement durable, doté de pouvoirs et de moyens accrus, comme on l’a fait en 2005 pour le Comité des droits de l’homme de l’ONU, et appuyer son action avec la création d’un haut commissaire aux générations futures.

Parallèlement, au niveau opérationnel, il faut transformer le Pnue en une Organisation des Nations unies pour l’environnement ou en une Organisation mondiale de l’environnement, dotée de moyens humains et financiers bien supérieurs à ceux, très limités, dont dispose le Pnue aujourd’hui. Ces questions institutionnelles sont naturellement compliquées et peu susceptibles de mobiliser le grand public. C’est néanmoins pour une bonne part sur les progrès réalisés ou non dans ce domaine qu’il faudra juger le bilan de Rio + 20.

Les difficultés à progresser sur le terrain environnemental à l’échelle mondiale ne sont quand même pas seulement institutionnelles.

En effet. Le contraste est saisissant entre les progrès constatés dans l’appréhension de la gravité de la crise écologique par le public depuis vingt ans – et cela pas simplement dans les pays du Nord, mais aussi au Sud – et la faiblesse persistante de l’action internationale en la matière. Voire le recul de cette action, comme on peut le redouter en particulier en matière de lutte contre le changement climatique.

Sur la période récente, la crise économique et financière joue naturellement un rôle important : elle limite les possibilités du côté des dépenses publiques et réactive les vieux réflexes productivistes au nom de la lutte contre le chômage. Mais au-delà de ces difficultés conjoncturelles, ce sont aussi les mutations structurelles intervenues depuis vingt ans qui compliquent et freinent le mouvement. Rio version 1992 était fondé sur l’idée d’un deal entre les pays du Nord et ceux du Sud. Une idée que traduisait la formule  » responsabilité commune mais différenciée  » ou encore le protocole de Kyoto avec les pays annexes I (les pays développés) et annexe II (pays du Sud).

Mais les vingt dernières années ont accru les divergences au sein de chacun de ces deux camps. Du côté des pays développés, le contraste s’est encore accentué entre les  » pays pleins  » (Europe et Japon) et les  » pays vides  » (Etats-Unis, Canada, Australie). Les premiers, dotés de populations nombreuses et privés de matières premières, sont de plus en plus anxieux devant les menaces écologiques, tandis que les seconds, peu peuplés et disposant encore de ressources naturelles importantes, bloquent plus que jamais toutes les avancées.

Parallèlement, l’irruption massive des pays émergents sur la scène économique mondiale a profondément divisé le groupe des pays du Sud. La Chine, devenue la seconde puissance économique mondiale, peut-elle continuer à être exonérée de contraintes et d’obligations ? Une question délicate qui ne facilite les choses ni vis-à-vis des pays anciennement industrialisés, ni vis-à-vis des autres pays du Sud.

Il faut manifestement changer de logiciel par rapport à celui utilisé en 1992. Ce n’est pas facile et on ne trouvera probablement pas encore la solution à Rio. L’important, c’est cependant d’en sortir avec au moins une feuille de route claire qui balise précisément le chemin à suivre au cours des prochaines années, notamment pour le renforcement de la gouvernance mondiale de l’environnement.

Pour lire le texte original, on va sur le site d’Alternatives Économiques.

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