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Le samedi 23 avril 2022

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La contribution santé et la transformation des finances publiques – De l’injustice fabriquée

L’auteure invitée est Vivian Labrie, chercheuse.

Quelques pages peu publicisées de la documentation du dernier budget du Québec, aperçues en procédant à une analyse annuelle préparée pour le Collectif pour un Québec sans pauvreté, m’amènent à sonner une alarme de plus à propos de la contribution santé et du fonds spécial où elle est versée.

J’avais prévu le faire en interpellant publiquement le ministre des Finances et son gouvernement. Le déclenchement des élections en a décidé autrement. Dans l’ignorance où nous sommes de qui formera le prochain gouvernement, j’invite mes concitoyennes et concitoyens, y compris les médias, à poser les questions utiles à l’ensemble des parties prenantes à la présente élection. Il faudrait tout de même pouvoir voter en sachant à quoi s’en tenir sur les enjeux qui suivent. Voici les faits.

Une contribution inéquitable dès le départ

Dans son budget 2010-2011, le ministre Raymond Bachand instaure la contribution santé. Il s’agit d’un montant forfaitaire payable annuellement par tout contribuable au revenu de plus de 14 040 $. Le montant exigé, soit 25 $ en 2010, 100 $ en 2011 et 200 $ en 2012, devait procurer environ 1 milliard au gouvernement au terme de la troisième année, ce qui sera grosso modo le cas.

Cette forme de perception, décriée dès le départ, est la plus régressive qui soit puisqu’elle est pour ainsi dire forfaitaire : qu’ils gagnent 15 000 $, 150 000 $ ou 15 millions, les particuliers paient le même montant, y compris des personnes qui ne couvrent pas leurs besoins de base.

Les montants ainsi perçus sont versés dans un fonds spécial, le Fonds de financement des établissements de santé et de services sociaux (FINESSS). Pourtant, la nature des dépenses imputées au FINESSS ne peut être distinguée des dépenses de programme courantes en santé et services sociaux.

Voici, par exemple, l’utilisation prévue du FINESSS en 2012-2013 : services aux personnes âgées (177 millions), services pour la déficience intellectuelle et physique (35 millions), soutien aux groupes de médecine familiale (120 millions), accès aux chirurgies et fonctionnement de nouvelles installations prévues à cet effet (275 millions), soins oncologiques (141 millions), services de dialyse (160 millions). Qu’est-ce qui est plus de l’ordre d’une dépense en santé et services sociaux que ça ? Et alors, pourquoi un financement différent, augmentant nettement les inégalités de revenus entre particuliers, pour des soins de santé relevant d’un même ensemble de soins ?

Ce FINESSS, à la fiscalité beaucoup plus régressive que la fiscalité générale, a servi jusqu’à maintenant à compenser la différence entre la croissance annuelle que le gouvernement veut affecter à la mission santé et services sociaux dans ses dépenses de programmes courantes et la croissance réelle de cette mission. On peut ainsi jouer sur les montants et les pourcentages : dans les données 2012-2013 sur les dépenses par ministère, le montant de 30 milliards affecté à la santé et aux services sociaux ne comprend pas le milliard de dollars du FINESSS.

Une augmentation à venir ?

J’arrive maintenant à l’astuce introduite dans le Plan budgétaire 2012-2013. On y apprend en page A 40 que le FINESSS passera de 1 milliard à 1,4 milliard de dollars en 2013-2014, alors qu’« une partie des sommes reçues du gouvernement fédéral dans le cadre de l’entente sur l’harmonisation des taxes de vente servira à combler le manque à gagner de 430 millions de dollars du FINESSS » et que, « dès 2014-2015, il demeurera un écart à résorber de 430 millions de dollars pour compléter le financement de la santé ».

Conclusion, même si le Discours sur le budget n’en parle pas, puisqu’il faudra de nouveaux revenus pour combler ce déficit créé de toutes pièces, est-on en train de préparer une nouvelle augmentation de la contribution santé, qu’on pourrait voir passer à 250 $, voire à 300 $ à partir de 2014 ?

Le gouvernement sortant peut-il confirmer ça ? Et quelle est la position des autres formations politiques en lice, non seulement sur cette hausse appréhendée ou sur la contribution santé, mais sur le FINESSS comme tel et sur l’intensification qu’il signale du recours au financement « à frais fixes » de services publics ?

Plus inéquitable que les droits de scolarité

L’enjeu est de taille. Une comparaison aidera à le situer.

L’impact à terme de la hausse des droits de scolarité annoncée est de 265 millions de dollars. Le caractère inéquitable de cette hausse a conduit à juste titre une partie du Québec dans la rue. Avec la contribution santé et le FINESSS, on parle d’un impact financier dont on ne connaît pas le terme, sinon qu’il passera l’an prochain de 1 milliard à 1,4 milliard de dollars.

Autrement dit, sur le plan financier, c’est une situation encore plus grave. Cette contribution à dose égale est imposée à la très grande majorité des contribuables. Elle ne considère pas l’effort humain inversement proportionnel au revenu qu’elle suscite, pesant davantage sur la classe moyenne à faible revenu et même sur des ménages en situation de pauvreté. C’est de l’injustice fabriquée. Nous pourrions être aussi dans la rue pour ça. Sauf qu’il faudrait éventuellement contester des privilèges octroyés à des acteurs dont notre santé peut dépendre.

Le jeu sur la croissance des dépenses en santé ne suffit pas comme explication au problème de justice posé ici.
Asymétrie

Sur la période de 2003 à 2012, une autre question se présente : qu’est-ce qui a construit cette croissance dont la compensation demande maintenant tant d’efforts ?

Comme l’a rappelé Jean-Robert Sansfaçon dans son éditorial du Devoir des 4 et 5 août 2012, et pour ne mentionner qu’un facteur qui toutefois fait l’appoint, de 2003 à 2010, le gouvernement sortant a accepté d’augmenter de 2 milliards la rémunération des médecins (moins de 20 000 personnes), sur la représentation de leurs puissantes associations. La contribution santé et son fonds spécial, bientôt relevé à 1,4 milliard, ont suivi de 2010 à 2012. Une comptabilité étant une comptabilité, ces deux données font partie de la même balance : entre 2003 et 2012, on aura pris à des plus pauvres après avoir redonné à des plus riches.

Cette question d’asymétrie entre la complaisance pour les uns et l’imposition d’efforts pour les autres dans l’usage des dollars publics doit aussi être posée. Comment se positionnent, pour les années à venir, les différentes formations politiques à l’interface entre une contribution santé et un FINESSS fiscalement inacceptables et les exigences de revenus de la profession médicale, et pis encore, des diverses industries dont l’argument de vente est la santé des gens ?

D’autres provinces tentent de faire baisser le poids de ces rémunérations très, trop élevées pour la capacité de payer de sociétés dont une partie des membres n’arrivent pas à couvrir leurs besoins de base et sont malades à cause de cela.

La contribution santé n’est qu’un exemple parmi plusieurs. C’en est un bon, qui conduit à se poser de sérieuses questions comme collectivité supposément maîtresse de ses finances publiques, dont celles-ci : voulons-nous vraiment aller vers des finances publiques en fonds régis par des règles différentes, dont la progressivité est également différente et à coup sûr génératrice de plus grandes inégalités ? Savons-nous vraiment de qui on exige les efforts et à qui on facilite l’enrichissement ? Est-ce bien cela que nous voulons ?

Sinon, savons-nous que des solutions seraient possibles si nous voulions vraiment travailler à un Québec sans pauvreté, moins inégal et, de ce fait, plus riche de tout son monde et plus riche pour tout le monde, auquel nous engage depuis 2002 la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale ?

Une société du bien-vivre doit se poser ces questions-là. Et les poser à qui sollicite le mandat d’administrer ses finances collectives.

Pour lire le texte original, on va sur le site du Devoir.

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