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Le samedi 23 avril 2022

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La part équitable de Mitt Romney

L’auteur invité est Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie en 2001 et professeur à l’université de Colombia à New-York, ex-conseiller économique du président Bill Clinton (1995-1997) et ex-chef économiste de la Banque mondiale (1997-2000).

Les impôts sur le revenu de Mitt Romney sont devenus une question essentielle dans la campagne présidentielle américaine. Est-ce seulement de la mesquinerie politique ou est-ce vraiment important ? En fait, c’est important et pas seulement pour les Américains.
Un thème majeur du débat politique sous-jacent aux États-Unis est le rôle de l’État et le besoin d’action collective. Le secteur privé, bien que le crucial dans une économie moderne, ne peut pas assurer seul son succès. Par exemple, la crise financière commencée en 2008 a démontré le besoin d’une régulation adéquate.

Par ailleurs, au-delà de la réglementation en vigueur (notamment sur l’assurance des conditions équitables pour la concurrence), les économies modernes sont fondées sur l’innovation technologique, ce qui suppose à son tour la recherche fondamentale financée par le gouvernement. Ceci est un exemple d’un bien public, des choses dont nous bénéficions tous, mais qui seraient moins disponibles (voire pas disponibles du tout) si nous devions compter sur le secteur privé.

Les politiciens conservateurs aux États-Unis sous-estiment l’importance de l’éducation, de la technologie et de l’infrastructure financées par l’Etat. Les économies dans lesquelles le gouvernement fournit ces biens publics fonctionnent beaucoup mieux que celles dans lesquelles le gouvernement n’en fournit pas.

Mais les biens publics doivent être payés, et il est impératif que chacun paie sa part équitable. Bien qu’il puisse y avoir des discussions sur ce que cela implique, ceux qui sont au sommet de la distribution des revenus et paient 15% de leur revenu déclaré (l’argent qui s’accumule aux Îles Caïmans et dans d’autres paradis fiscaux ne peut pas être déclaré aux autorités des États-Unis) ne paient clairement pas leur part équitable.

Il existe un vieil adage qui dit que le poisson pourrit par la tête. Si les présidents et leur entourage ne paient pas leur juste part équitable d’impôts, comment peut-on s’attendre à ce que quelqu’un d’autre le fasse ? Et si personne ne le fait, comment peut-on espérer financer les biens publics dont nous avons besoin ?

Les démocraties reposent sur un esprit de confiance et de coopération dans le paiement des impôts. Si chaque individu consacre autant d’énergie et de ressources que les riches pour éviter leur part équitable d’impôts, soit le système fiscal s’effondrerait, soit il faut le remplacer par un système beaucoup plus gênant et plus coercitif. Ces deux solutions sont inacceptables.

Plus largement, l’économie de marché ne pourrait pas fonctionner s’il fallait que chaque transaction soit imposée par une action en justice. Mais la confiance et la coopération ne peuvent survivre que si l’on croit que le système est juste. Des recherches récentes ont montré qu’une croyance en un système économique injuste compromet à la fois la coopération et les efforts. Cependant, de plus en plus d’Américains en arrivent à croire que leur système économique est injuste, et le système fiscal est emblématique de ce sens de l’injustice.

L’investisseur milliardaire Warren Buffett soutient qu’il ne doit payer que les impôts qu’il doit, mais qu’il y a quelque chose de fondamentalement mauvais dans un système qui taxe son revenu à un taux inférieur à celui que sa secrétaire est tenue de payer. Il a raison. Romney pourrait être pardonné s’il devait adopter une position similaire. En effet, il pourrait constituer un événement comparable à celui de Nixon en Chine : un politicien riche au sommet du pouvoir qui préconise des impôts plus forts pour les riches, pourrait changer le cours de l’histoire.

Mais Romney n’a pas choisi de procéder de la sorte. Il ne reconnaît évidemment pas qu’un système qui taxe la spéculation à un taux plus faible que le dur labeur fausse l’économie. En effet, une grande part de l’argent qui revient à ceux d’en haut provient de ce que les économistes appellent les rentes (rents), qui ne proviennent pas de l’augmentation de la taille du gâteau économique, mais de la ponction d’une plus grande part du gâteau existant.

Ceux au sommet comprennent un nombre disproportionné de monopolistes qui augmentent leurs revenus en limitant la production et s’engagent dans des pratiques anticoncurrentielles. Sans oublier les PDG qui exploitent les lacunes dans les lois de gouvernance d’entreprise pour prendre une part plus importante des revenus des entreprises elles-mêmes (ce qui en laisse moins aux employés). Ni les banquiers qui se sont engagés dans des pratiques de prêts prédatrices et dans des pratiques abusives de cartes de crédit (souvent ciblées sur les ménages pauvres et de classe moyenne). Ce n’est peut-être pas un hasard si la recherche des rentes et les inégalités ont augmenté au moment où les taux maxima d’imposition ont baissé, où les règlements ont été vidés de leur substance et où l’application des règles existantes a été affaiblie : les opportunités et les rendements de la recherche de rentes ont augmenté.

Aujourd’hui, une insuffisance de la demande globale affecte presque tous les pays avancés, conduisant à un chômage élevé, à une baisse des salaires, à de plus grandes inégalités et – pour fermer ce cercle vicieux – à une consommation bridée. Il y a maintenant une reconnaissance croissante du lien entre l’inégalité, et l’instabilité économique et la faiblesse.

Il existe un autre cercle vicieux : l’inégalité économique se traduit en inégalité politique, qui à son tour renforce la première, notamment par le biais d’un système fiscal qui permet à des gens comme Romney, qui insiste sur le fait qu’il a été soumis à un taux d’impôt sur le revenu « d’au moins 13% » pendant les dix dernières années, pour ne pas payer sa part équitable. L’inégalité économique qui en résulte, à la suite de l’inégalité politique autant que des forces du marché, contribue à la faiblesse économique globale d’aujourd’hui.
Romney n’est peut-être pas être un fraudeur fiscal : seule une enquête approfondie par l’Internal Revenue Service américain pourrait mener à cette conclusion. Mais, étant donné que le taux d’impôt sur le revenu marginal américain est de 35%, il est certainement un éviteur fiscal à grande échelle. Et bien sûr, le problème ne concerne pas seulement Romney ; d’une manière plus générale, son niveau d’évitement fiscal rend difficile de financer les biens publics, sans lesquels une économie moderne ne peut pas s’épanouir.

Mais, plus important encore, l’évasion fiscale à l’échelle de Romney sape la croyance en l’équité fondamentale du système et donc affaiblit les liens qui unissent une société.

Copyright: Project Syndicate, 2012.
www.project-syndicate.org
Traduit de l’anglais par Stéphan Garnier

On peut lire le texte original en allant sur le site de Project Syndicate.

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