Assistons-nous à une nouvelle internationalisation du mouvement coopératif ? À la faveur de la crise, le mouvement coopératif d’ici et d’un peu partout dans le monde est-il en train de prendre une certaine distance à l’égard du capitalisme ? Sa légendaire neutralité politique est-elle aujourd’hui questionnée de l’intérieur ? Le virage écologique de certains réseaux à la faveur de Rio+20 dessine-t-il un tournant en matière de développement durable pour le mouvement ? Bref, le Sommet nous réservera peut-être quelques surprises. Tout à la fois participant (comme conférencier) et observateur, je vous en rendrai compte dans les semaines qui suivront l’événement. Dans ce premier article, je vous fournis quelques pièces du plan de match de ce Sommet.
D’entrée de jeu, disons que ce Sommet a une ampleur et une portée qui n’a pas de précédent depuis des décennies dans le mouvement. En premier lieu, la place de l’«international» y trouvera son compte comme en témoignent les chiffres cumulés depuis l’annonce du Sommet : quelques 2 200 dirigeants de coopératives, des chercheurs, des représentants d’organisations internationales (OMS, BIT, OCDE…) et de gouvernements en provenance d’une centaine de pays des quatre coins de la planète sont attendus pour trois jours pleins de délibération (du 8 au 11 octobre). Fait à noter : à pareille date l’an dernier, l’objectif était de 1 200 participants. Puis se sont ajoutées des activités complémentaires (une vingtaine) dans les jours qui précèdent et qui suivent. Le tout se fait en collaboration avec l’Alliance coopérative internationale (ACI), l’organisation internationale qui fait la représentation politique des coopératives du monde entier auprès des institutions internationales et des gouvernements (notamment sur les questions de législation en matière de développement coopératif).
Pour favoriser les échanges et le débat, quelques 150 conférenciers et une programmation axée sur quatre grands thèmes d’intérêt mondial : 1) la place des coopératives et des mutuelles dans l’économie mondiale ; 2) la performance du modèle d’affaires coopératif et mutualiste ; 3) l’évolution du modèle d’affaires coopératif et mutualiste ; 4) l’influence sociopolitique mondiale des coopératives et des mutuelles. Thème central L’étonnant pouvoir des coopératives. À la direction du Sommet, Mme Leroux en tête, on a fait l’hypothèse qu’il faut maintenant, et c’est urgent, renforcer le réseau des coopératives et des mutuelles du monde entier afin de créer une véritable sphère d’influence dans l’ensemble des milieux économiques et politiques à l’échelle planétaire. Sa déclaration de New York à l’ONU au début de 2012 a transformé l’hypothèse en conviction à l’effet qu’il y a « une solution de rechange au capitalisme sauvage car le modèle des coopératives a tout pour plaire en ces temps d’instabilité économique. Or ses réussites demeurent trop confidentielles » (Le Devoir, 13 janvier 2012).
Comment expliquer une telle déclaration à laquelle Desjardins nous avait peu habitué ? Les facteurs à l’origine du Sommet sont limpides mais peu connus : ce sont les nouvelles normes comptables internationales. Les banques coopératives se sont rendues compte que les multinationales sont les seules à influencer les règles du jeu. La prédominance de l’«économie capitaliste de marché» sur les autres modes de propriété (collective et public) a en effet fait monter en flèche dans les 20 dernières années l’influence forte des multinationales: a) des transferts d’autorité d’institutions internationales vers l’expertise privée notamment à l’OMC; b) l’influence informelle des firmes multinationales sur les grandes instituions internationales et les États par l’intermédiaire entre autres des Forums économiques mondiaux ; c) l’intervention centrale des États dans la résolution de la crise des grandes banques dont le prix à payer a été leur dette publique pendant que les agences de notation rebondissait sur cette dette.
Le mouvement coopératif international n’a pas été sans observer la tendance qui se dessinait, et tout particulièrement ses institutions financières coopératives : en effet, la régulation financière internationale est devenue une quasi-autorégulation par le marché dans une entente qui pourtant est censée être interétatique si on fait référence ici à Bâle II et à Bâle III. Faut-il se surprendre que les institutions financières coopératives soient sur un pied d’alerte aujourd’hui face à des changements opérés en son absence en dépit de son importance au plan économique (10% de la finance internationale passe par les coopératives). Dans les coulisses de l’histoire, on sait que ce type de diagnostic aurait été, semble-t-il, un déclencheur chez Desjardins de la nécessité comme mouvement international de cesser d’être le dindon de la farce et d’obtenir, en tant que mouvement, dans la négociation de ces ententes interétatiques, une influence sociopolitique. En clair, vous avez ici, je crois, l’origine première du Sommet organisé avec l’ACI laquelle, à défaut de puissants moyens en tant qu’organisation, peut miser sur certaines de ses composantes.
En ce sens, le 4e thème transversal de ce Sommet est à surveiller de très près. Hugues Sibille, vice-président du Crédit coopératif français, présidera ce forum sur l’influence sociopolitique des coopératives dans le monde, thème qui est une question sensible au sein du mouvement parce qu’il a une longue tradition de neutralité politique (« on fait des affaires autrement mais on fait des affaires et on laisse à d’autres le soin de faire de l’action sociopolitique »). Or les temps ont changé et il faut bouger tant l’«économique» et le «politique» sont aujourd’hui imbriqués l’un dans l’autre. Le mouvement n’a plus le choix : il doit faire connaître ses positions sur tous les terrains. Et cela passe par la parole publique. Les politiciens regardent les sondages en tant d’élections et, une fois élus, l’évolution de la bourse et la note qu’ils obtiennent des Agences de notation. Mais aussi ce que les mouvements disent, pensent et font.
Or Hugues Sibille, sur ce thème est particulièrement bien qualifié. Dirigeant depuis longtemps du mouvement coopératif en France et membre actif des Rencontres du Mont-Blanc (devenues le Forum international des dirigeants de l’économie sociale et solidaire, le FIDESS), il a l’avantage d’une pensée claire et bien articulée qu’on peut retrouver dans un petit livre intitulé La voie de l’innovation sociale. Entretien avec Hugues Sibille. Éd. Rue de l’échiquier, Paris, 2011.
Cela étant dit, je tenterai dans un prochain billet de vous dégager ce que certaines figures marquantes auront avancé dans leurs présentations comme Riccardo Petrella sur le projet de société du mouvement; Enzo Pezzini, sur l’expérience politique du coopératif italien ; Pauline Green et Felice Scalvini, respectivement présidente et vice-président de l’ACI depuis 2009, sur l’évolution en cours de la crise que nous traversons et sur la place que peut occuper le mouvement coopératif pour y répondre; Réjean Lantagne de l’ACI des Amériques (et de SOCODEVI) sur l’intercoopération entre le Nord et le Sud aujourd’hui ; Yvan Morin président de Nutrinor, coopérative agricole fer de lance du développement durable de la Fédérée; Laure Waridel sur le leadership des nouvelles générations; Ernesto Molina, co-éditeur d’un ouvrage et animateur d’un séminaire international de chercheurs ; Andrew Bibby, journaliste financier et écrivain, conseiller de l’OIT et de l’ACI sur le développement d’un «capital coopératif» qui ne dépendrait des marchés boursier et bien d’autres. Et, à coup sûr, de quelques activités complémentaires, notamment les Rencontres du Mont-Blanc sur les suites de Rio+20 le jeudi 11.
Je vous rendrai compte de tout ceci après le Sommet, en étant à l’affût, pour le meilleur et pour le pire, de quelques surprises que nous réserve parfois ce genre d’exercice…aux apparences de grande messe.
Affirmation du modèle des coopératives pour influencer
les autres types d’économie au plan mondial
Echanges et valorisation des outils et savoirs issus des coopératives
Favoriser l’émergence des fonds dédiés au développement des coopératives dans les pays du Sud.
Publications des travaux issus du sommet.