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Le samedi 23 avril 2022

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D’un océan à l’autre, le gouvernement fédéral coupe dans la recherche scientifique

L’auteure invitée est Christine Gilliet, journaliste au journal Ensemble, presse coopérative et indépendante.

Laboratoires démantelés, postes de chercheurs supprimés: depuis la fin 2011, le gouvernement fédéral effectue des coupes budgétaires drastiques et ciblées dans son ministère chargé de l’environnement aquatique et de la recherche. Quant à la volumineuse loi budgétaire C-38 en vigueur depuis le mois de juillet, elle modifie la Loi sur les pêches et abolit des évaluations environnementales. Des scientifiques se révoltent contre la stratégie du gouvernement conservateur qui privilégie à court terme l’utilisation économique des océans pour la pêche et l’exploitation des hydrocarbures. D’autres dressent un bilan désastreux de la gestion et de la protection des océans du Canada sur les dernières années. Contrairement à leurs homologues fonctionnaires, ces scientifiques peuvent encore prendre la parole publiquement.

En mai dernier, le ministère Pêches et Océans (MPO) a annoncé la fermeture de cinq de ses laboratoires, dont deux reconnus mondialement pour leur expertise: l’Experimental Lakes Area (ELA) en Ontario, une infrastructure de recherche en écologie aquatique, et le laboratoire spécialisé en chimie analytique de l’Institut Maurice-Lamontagne (IML) à Mont-Joli au Québec. En Colombie-Britannique, c’est le poste de Peter Ross à l’Institute of Ocean Sciences, expert en toxicologie sur les mammifères marins et spécialisé sur les épaulards, qui a été coupé. Les 55 postes de chercheurs et de techniciens supprimés représentent la totalité des postes en écotoxicologie et en chimie de l’environnement, ce qui élimine complètement la discipline dans l’appareil gouvernemental.

Les scientifiques universitaires, partout au Canada, ont vivement critiqué ces mesures dans des communiqués de presse, des lettres au premier ministre et des lettres ouvertes demandant au gouvernement de revenir sur sa décision. Ces restrictions interrompent le travail scientifique mené depuis des décennies et limitent la capacité du Canada à cerner les enjeux de la contamination de ses eaux et à prévenir les impacts sur les écosystèmes, la santé humaine et l’économie. «Pas de preuve, pas de science, pas de vérité, pas de démocratie»: à Ottawa, plus d’un millier de scientifiques en sarrau blanc ont défilé en un cortège funèbre et scandé ce slogan au début juillet. Ils dénoncent ces compressions basées sur une idéologie anti-environnementale qui réfute la preuve scientifique, ainsi que le muselage des scientifiques employés par le gouvernement qui ne peuvent s’exprimer dans les médias sur leurs travaux, au risque de perdre leur emploi.

Le Saint-Laurent échappera à la loupe scientifique

Au Québec, la stratégie du gouvernement fédéral est également flagrante avec le démantèlement du laboratoire de l’IML et la suppression des onze postes de chercheurs spécialisés en écotoxicologie qui étudiaient les impacts des contaminants et de la pollution sur les organismes marins, et plus spécifiquement sur les écosystèmes du Saint-Laurent. Pourtant, en 2007-2008, le MPO avait investi deux millions de dollars pour moderniser le laboratoire. « Il devait servir, entre autres, de référence pour établir les preuves légales en cas de déversement pétrolier dans le Saint-Laurent. Avec cette coupure, cet investissement ne sert plus à rien et l’expertise-conseil émanant directement du gouvernement sera maintenant donnée en sous-traitance à des firmes privées », explique Lyne Morissette, coordonnatrice à l’Observatoire global du Saint-Laurent. Quant à la bibliothèque de l’IML, la seule bibliothèque francophone en sciences marines du Canada, elle sera déplacée au Nouveau-Brunswick, bien loin du bord de mer.

Avec le recours à la sous-traitance privée, les problèmes de manque de rigueur se posent, selon l’avis de scientifiques. L’étude d’impact, menée par l’entreprise Corridor Resources, d’un éventuel déversement d’hydrocarbures sur le site Old Harry, où la construction d’une plateforme pétrolière est en projet dans le golfe du Saint-Laurent, a été jugée non réaliste par des experts d’Environnement Canada. «Il est incroyable de voir la désinvolture avec laquelle Corridor Resources a minimisé les risques d’un déversement pétrolier dans le golfe. Cette façon de jouer avec l’avenir du golfe est tout à fait indécente et se moque des centaines de communautés côtières qui dépendent de la santé du golfe pour leur survie», a dénoncé Danielle Giroux, porte-parole de la Coalition Saint-Laurent. Cette coalition réclame un moratoire pour les activités exploratoires, le temps nécessaire pour bien évaluer les risques environnementaux d’une exploitation pétrolière dans le golfe et pour mener une large consultation publique.

La loi C-38, pour l’exploitation accélérée des océans

Ces vagues successives de coupes sont intervenues avant l’adoption de la loi d’exécution budgétaireC-38,la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durables, par la Chambre des communes à la fin du mois de juin. Cette loi contenant quelque 400 pages, «loi mammouth» ou «fourre-tout» comme l’appellent ses détracteurs, a été présentée et adoptée de manière très rapide. Juristes et experts planchent actuellement pour en décerner les conséquences sur l’environnement.

Ainsi, les conservateurs ont voté pour des changements dans la Loi sur les pêches qui ne protège maintenant que l’habitat des espèces de poissons exploitées de manière commerciale. « On protégera donc 80% moins de biodiversité marine », déplore Lyne Morissette.

La Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCÉE) a été abrogée et remplacée par la LCÉE 2012 qui modifie en profondeur la réalisation et le processus de certaines évaluations environnementales au Canada. Désormais, toutes les activités exploratoires des gisements de pétrole et de gaz, levés sismiques et forages, seront soustraites aux évaluations environnementales, à moins que le ministre de l’Environnement en décide autrement, au cas par cas et selon son pouvoir discrétionnaire. « Tout semble indiquer que le gouvernement fédéral vise ainsi à faciliter l’implantation de l’industrie pétrolière », déclare Sylvain Archambault, biologiste à la Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP) du Québec, dans un récent communiqué de la Coalition Saint-Laurent.

Conflit d’intérêts et désengagement catastrophique

Déjà au début de l’année, le rapport des dix experts indépendants mandatés depuis juin 2010 par la Société royale du Canada a constaté que le gouvernement du Canada n’a pas respecté ses engagements nationaux et internationaux en matière de préservation de la biodiversité marine. Bordé par l’Atlantique, le Pacifique et l’Arctique, le pays compte moins de 1% de la surface de ses océans en tant qu’aires marines protégées, alors que son engagement international doit en créer 10% d’ici 2020. La Loi sur les océans, basée sur un principe de précaution envers les écosystèmes, est jugée inefficace par ces experts, et la Loi sur les espèces en péril n’a pas tenu ses promesses.

« Il existe un conflit d’intérêts au sein du ministère Pêches et Océans Canada entre son mandat de promouvoir l’activité industrielle et économique et sa responsabilité de préserver la vie marine et la santé des océans », affirme le rapport qui dénonce les pouvoirs et les prises de décision discrétionnaires du ministre, sans objectifs clairs et précis. Le rapport cite celui de l’Université Yale aux États-Unis qui place les politiques canadiennes de protection de la biodiversité au 125erang sur les 127 politiques nationales analysées.

Le Canada s’est retiré du protocole de Kyoto fin 2011. Pourtant, les changements climatiques ont un impact majeur, a souligné le professeur Hutchings, un des auteurs du rapport commandé par la Société royale du Canada: « Les océans deviennent de plus en plus acides, les eaux profondes perdent leur oxygène au point de devenir impropres à la vie marine dans certains secteurs des eaux canadiennes. La glace de mer disparaît peu à peu de l’Arctique et le long des côtes du Labrador, de Terre-Neuve et du golfe du Saint-Laurent. Tous ces changements affecteront profondément la vie aquatique et les écosystèmes qui l’abritent ».

Pour lire le texte original, on va sur le site du Journal Ensemble.

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