Tout le monde l’a entendu, le milieu des affaires serait au bord de la crise de nerf. Pour les uns c’est l’angoisse fiscale qui le ronge, pour les autres le mal est flou, on sait cependant qu’il est inscrit au répertoire de la petite politique. Pour plusieurs il ne s’agirait que d’une exaspération galopante devant les cafouillages entourant les messages économiques du gouvernement. Il s’est dit beaucoup de bêtises à propos de l’incertitude mais il n’y avait rien là d’inhabituel. C’est la cassette que nous livre généralement le milieu des affaires dès lors qu’un nouveau gouvernement se pointe avec des ambitions réformatrices.
Une chose doit cependant être relevée : on ne peut pas laisser passer l’ineptie que l’on a lue à pleines pages où se répandaient lobbyistes et bonimenteurs de tous poils pour déplorer l’absence de politique économique du nouveau gouvernement. Ce gouvernement a d’ores et déjà annoncé un virage économique majeur en mettant fin au développement de certaines énergies nuisibles à l’environnement et la santé (nucléaire et gaz de schiste) et en proposant un objectif d’indépendance énergétique et de réduction de notre dépendance au pétrole. Le discours est loin de la cassette habituelle nous répétant les lieux communs du néo-libéralisme et pas du tout enrobé dans la rhétorique des « affaires », mais la déclaration du ministre Nicolas Marceau est certainement l’une des plus engageantes des dernières décennies :
« Nous voulons faire la promotion de l’indépendance énergétique. Notre déficit provient de notre dépendance au pétrole. Il faut s’arracher à cette dépendance. On va tout mettre en oeuvre pour faire émerger une grappe en électrification des transports au Québec. C’est le moyen privilégié pour arriver à l’indépendance énergétique. Le jour où on ne dépendra plus du pétrole, il sera plus facile de revenir à des situations de surplus.»
Il faut prendre la mesure d’un tel objectif qui suppose une réorganisation complète de nos manières de voir le développement économique. Il faut souhaiter que le gouvernement se fasse plus explicite et qu’il dépose des projets mobilisateurs, qu’il annonce des politiques audacieuses. Mais le ministre a raison, c’est le transport qui constitue sans aucun doute le premier front à privilégier. C’est pour le transport de personnes et des marchandises que nous importons la plus grande part du pétrole. Faut-il rappeler que notre déficit commercial automobile se chiffre à plus de vingt milliards annuellement : autour de huit milliards pour acheter les véhicules que nous ne fabriquons pas, une douzaine de milliards pour les carburants?
Un rapport de recherche de l’IRÉC l’a déjà établi, c’est en se dotant d’une politique d’électrification du transport collectif que le Québec pourrait le plus rapidement améliorer son bilan tout en bénéficiant de retombées économiques considérables. En agissant pour mobiliser la grappe du matériel de transport autour de la fabrication des équipements requis pour électrifier le transport collectif, ce sont des dizaines de milliers d’emplois qui pourraient être créés à court terme. Le rapport a même établi que la mise en place d’un réseau national de transport par monorail permettrait la création de près de cent mille emplois tout en dotant le Québec d’un lien vital entre la métropole et les capitales régionales. Et cela n’aurait rien à voir avec le développement économique? Le redressement de la balance commerciale que la réduction des importations de pétrole favoriserait, cela n’aurait aucune incidence économique? Et la politique industrielle qu’il faudra mettre en place pour soutenir le développement technologique pour remplacer les carburants fossiles par des énergies renouvelables produites ici, cela n’aurait pas d’effet économique? Et la vaste opération de révision des procédés industriels requis pour se débarrasser du pétrole, cela ne serait pas du développement économique?
Il faut pourtant bien mesurer les implications de ce choix. Et s’il y a quelque motif d’inquiétude à entretenir, c’est bien plutôt que le gouvernement n’ait pas les moyens de ses ambitions. Ou plutôt qu’il manque d’audace pour renouveler ses outils d’intervention. Sur ce point, on apprécierait entendre les entrepreneurs dynamiques qui réalisent de véritables prouesses dans le domaine des technologies vertes. On aimerait les entendre définir des attentes à l’égard d’une politique industrielle conséquente. Ils existent pourtant et sont en train de jeter les bases de la structure industrielle du vingt-et-unième siècle.
On aimerait entendre les entrepreneurs régionaux et les artisans du développement régional formuler leurs attentes à l’égard d’une éventuelle stratégie de développement des industries de la biomasse où se dessinent les voies de sortie de la crise forestière. On aimerait entendre parler de la production agricole de biomasse à des fins énergétiques. On aimerait qu’on nous explique son immense potentiel pour mettre en production les centaines de milliers d’hectares de terres en friche. On apprécierait qu’une politique en propose le développement pour favoriser la revitalisation de villages et la diversification de l’agriculture et des revenus des agriculteurs.
On aimerait entendre les ténors des lobbys d’affaires nous dire quoi faire des surplus d’électricité qu’Hydro-Québec doit exporter dans des conditions de marché des plus désavantageuses. On aurait aimé les voir interpeller la ministre de l’Énergie et des Ressources pour connaître ses intentions pour accompagner une politique industrielle de pour élargir les usages de l’électricité au lieu de les entendre gémir sur les gaz de schiste dont la population ne veut pas et dont notre économie n’a pas besoin.
On aimerait les entendre faire des propositions sur les choix à faire et les mesures à prendre pour accroître ici la transformation des minerais. On a plutôt eu droit à la langue de bois sur les dangers d’effaroucher les investisseurs. Certains sont même allés jusqu’à se dire contents de ne récolter que de maigres retombées , que ça valait mieux que de perdre un investisseur étranger. Ils ne se rendaient même pas compte qu’ils nous tenaient le discours du « né pour p’tit pain » enrobé dans de la rhétorique de MBA!
Il faut saluer bien bas l’intervention de Renaud Lapierre, président de Veridis, dans Le Devoir de mardi. C’est encourageant de voir qu’au moins un entrepreneur ose se dresser devant les idéologues qui polluent son milieu.
La réaction d’un certain lobby des affaires au virage souhaité vers une économie verte aura au moins eu le mérite de faire voir jusqu’à quel point cette élite auto-proclamée est en retard sur le courant des affaires. Les perspectives de reconversion de la structure économique du Québec sont en effet excellentes. Notre potentiel est immense. Nous avons les talents et les compétences. Nous aurons peut-être un gouvernement capable de faire les bons choix politiques. C’est à voir.
En attendant de réussir le remplacement du pétrole, nous pourrions tout de même espérer que les milieux entrepreneuriaux remplacent les discours fossilisés de ceux qui les représentent. Leur contribution au développement économique mérite mieux que les haussements d’épaule que provoque chez d’aucuns le discours de myopes que nous servent ceux-là qui préfèrent ne rien voir pour éviter que les évidences ne nuisent à leurs affaires.
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