L’auteur invité est Christian Chavagneux, rédacteur en chef adjoint du magazine Alternatives Economiques.
Mario Draghi vient de présenter la nouvelle arme de la Banque centrale européenne (BCE) pour lutter contre les envolées des taux d’intérêt sur les dettes publiques européennes. Elle achètera sans limite les titres de 1 à 3 ans de maturité des pays attaqués. Un instrument efficace même si toutes les modalités concrètes restent à préciser.
La BCE s’est enfin décidée à mettre sa force de frappe pour lutter contre la spéculation qui a fait grimper les taux d’intérêt de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal et touche aujourd’hui (négativement) l’Espagne et l’Italie et (positivement avec des taux très faibles) des pays comme l’Allemagne et la France. La banque centrale lance donc son OMT (Outright Monetary Transactions) : des achats « sans limite » des titres de dette publique sur le marché secondaire de la dette.
Présenté comme un instrument de politique monétaire, pas une aide aux Etats
Ce nouvel instrument n’est pas présenté comme une aide aux Etats mais comme devant permettre à la BCE de reconstruire les canaux de transmission de la politique monétaire : quand la BCE baisse ses taux à court terme, elle souhaite que cela se répercute sur les taux à long terme afin de réduire le coût du crédit et relancer l’activité. Or, la spéculation obligataire maintient les taux élevés, ce qui empêche la politique monétaire de fonctionner. La BCE intervient donc pour redonner de l’efficacité à ses interventions sur les taux.
Une façon politique de présenter son intervention qui la justifie politiquement auprès des électeurs allemands mais personne n’est dupe : la BCE se décide enfin à aider les Etats. Mais pas gratuitement.
Une aide conditionnelle
Les pays qui veulent bénéficier de ce nouvel instrument devront s’engager dans un programme de rigueur auprès du FESF bientôt transformé en MES ou bien demander un programme de précaution avant que la crise sur les taux ne se déclenche. La BCE l’a souhaité pour trois raisons :
- l’aide ne doit pas désinciter les pays à maîtriser leurs déficits budgétaires ;
- le programme signé avec le FESF/ MES doit comporter la possibilité pour ces deux institutions d’acheter des titres de dette publique sur le marché primaire, c’est-à-dire quand les Etats les émettent ;
- le contrôle politique des programmes économiques est renvoyé aux Etats, libérant ainsi la BCE qui n’a pas de légitimité à imposer des choix politiques.
La BCE se donne le droit d’arrêter l’OMT quand elle pense que son objectif est atteint, c’est-à-dire que les taux sont revenus à un niveau « normal » ou si elle pense que le pays ne fait pas assez d’efforts. Elle le fera en toute indépendance : ce qui veut dire que si elle n’impose pas elle-même les programmes d’austérité, elle va quand même se faire sa propre idée de ce que doit être leur contenu et cela guidera son action.
Qui pourra en profiter ?
Tous les pays qui seront sous programme FESF/ MES et pour ceux qui y sont déjà (Grèce, Irlande, Portugal), dès qu’ils auront de nouveau accès aux marchés financiers.
L’OMT se focalisera sur l’achat de bons du Trésor dont la maturité va de 1 à 3 ans, y compris les obligations de plus long terme pour lesquelles il reste 3 ans et moins de maturité. Aucune limite quantitative n’est fixée a priori, un message qui ravit les marchés qui savent maintenant que la BCE mettra ce qu’il faut sur la table : l’Espagne et l’Italie voient déjà depuis ce matin les taux d’intérêt de leurs emprunts à court terme chuter.
Contrairement au programme actuel (SMP qui l’a conduit à acheter pour 209 Mds d’euros de dette et auquel il est mis fin, les titres achetés seront détenus jusqu’à leur maturité) : 1) les transactions de la BCE passant par l’OMT seront entièrement transparentes ; 2) la BCE ne sera plus un créancier privilégié, c’est-à-dire qu’en cas de restructuration de la dette, elle prendra ses pertes comme les créanciers privés (voir ici pour les implications).
Toutes les dépenses de la BCE seront « stérilisées », c’est-à-dire qu’il sera retiré du circuit autant de monnaie qu’elle en aura mis.
Deux questions restent en suspens
- Quel sera l’objectif de la BCE ? Mario Draghi a indiqué que la BCE n’avait pas fixé de limite précise à partir de laquelle elle interviendrait : 5, 6, 7 % ? Draghi a précisé que l’écart de taux d’intérêt entre pays de la zone euro entrerait en ligne de compte pour la décision d’intervention mais pas seulement : les écarts sur le marché des CDS, la disponibilité de la liquidité, la volatilité des financements, etc., seraient également pris en compte, ce qui laisse une large marge d’appréciation et donc d’intervention à la banque centrale ;
- Même si les achats de la BCE seront en principe illimités, ils seront en pratique limités par le montant des titres disponibles à la vente. Or ceux-ci ne sont pas illimités, d’autant plus que les banques qui en détiennent s’en sont déjà beaucoup servis pour les donner à la BCE en garantie des emprunts qu’elles effectuent depuis de longs mois auprès de la banque centrale. Y aura-t-il assez de titres pour rendre l’OMT efficace ? Cela pourrait inciter les pays à booster les émissions de titre de 1 à 3 ans mais, comme l’a précisé Draghi, les pays ont intérêt à équilibrer les maturités de leurs emprunts.
Mario Draghi a précisé que la décision de créer l’OMT a été prise à l’unanimité moins une voix (celle de Jens Weidmann, le patron de la banque centrale allemande évidemment, désormais complètement isolé) et que son objectif est clair : créer « un filet de sécurité efficace pour éliminer totalement les risques extrêmes dans la zone euro ». Car de son point de vue, les taux d’intérêt payés par l’Espagne et l’Italie sont dus en partie seulement à l’état d’inquiétude quant à leurs finances publiques, le reste tenant à des craintes injustifiées des investisseurs sur l’avenir de la zone euro. Un constat juste : dommage d’avoir perdu trois ans !
Pour lire le texte original, avec ses hyperliens, on va sur le site d’Alternatives Economiques.
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