Le pire s’est vraisemblablement produit : sur les questions fiscales, la Fédération des Chambres de commerce du Québec (FCCQ) aurait plus de poids que les 34% d’électeurs qui ont voté pour le nouveau gouvernement. Il y aurait, semble-t-il, un nouveau seuil de 50% d’imposition que les gouvernements n’auraient plus le droit légitime de franchir ! C’est inqualifiable comme recul. Je comprends parfaitement que près des deux tiers des citoyens québécois, en toute inconscience, ont voté pour deux partis politiques qui représentent à toutes fins pratiques les intérêts d’un patronat qui, comme jamais dans l’histoire contemporaine du Québec, n’a été aussi réactionnaire. Derrière ces histoires de petits propriétaires immobiliers qui servaient de paravents (des mesures simples auraient pu être prises pour éviter qu’ils soient touchés, comme le proposent Allaire et Nadeau), il y a les menaces de ce petit groupe de dirigeants d’entreprises conduit par la FCCQ.
Cette association patronale est de la même eau idéologique que la Chamber of Commerce (CoC) des États-Unis. Au cours du mandat de l’administration Obama, cette dernière s’est opposée au projet de doubler la production d’énergie renouvelable d’ici 2035 (grâce à la récupération des milliards $ de subventions allouées à l’industrie pétrolière et gazière), au marché des permis d’émission de GES, à la réforme du système de santé, à la régulation du système financier et à la taxe sur les entreprises. La CoC a aussi été le fer de lance d’une campagne contre la volonté du gouvernement de faciliter les démarches de syndicalisation des travailleurs étatsuniens. La FCCQ joue au Québec le même rôle de fer de lance du « front du refus » des plus riches.
Pourtant dans nos sociétés, les gens d’affaires continuent à avoir une ‘bonne presse’. Contrairement aux syndicalistes et aux militants sociaux, on ne met la lumière que sur les bons côtés des gens d’affaires. Par exemple, tout au long de ces enquêtes journalistiques de collusion et de corruption, dont j’admire le travail, les accusés montrés du doigt (à l’exception des ‘entrepreneurs’ de la mafia) sont des dirigeants syndicaux et des fonctionnaires. Rares sont les enquêtes journalistiques sur la filière patronale de toutes ces magouilles. Jamais on ne questionne les valeurs et les principes d’action qui animent tous ces individus puisque, si on le faisait, on découvrirait qu’au cœur de tous ces scandales on trouve des personnes qui sont contaminés par les valeurs et les principes d’action qui sont au plus haut point valorisés par le patronat actuel : la cupidité. À ce propos, je vous suggère d’aller lire le 2e paragraphe de mon billet de lundi sur l’oligarchie financière : le quart des 500 répondants (PDG d’institutions financières de Wall Street) à un sondage estiment que les employés du secteur de la finance ne peuvent pas progresser dans la profession sans accepter de s’engager dans des pratiques illégales ou non éthiques…
Il fut un temps où on pouvait encore voir dans les entreprises québécoises des expériences de coopération patronale-syndicale pour sauver des emplois ou moderniser des entreprises. Mais depuis une dizaine d’années, nous assistons plutôt à une offensive vindicative d’un patronat conquis par la pensée ultralibérale. On peut certes en tenir responsable le contexte de crise, d’une la mondialisation de plus en plus féroce, ou d’un dollar canadien trop élevé. Effectivement ce sont tous là des facteurs défavorables. Mais il faut aussi compter sur le fait que le patronat a été rattrapé par le mouvement mondial de radicalisation des milieux d’affaires : ils ont graduellement assimilé les valeurs de cette oligarchie qui s’est imposée sur la scène économique mondiale, de plus en plus agressive contre les réglementations publiques et les institutions collectives. Le virage patronal est apparu évident lorsqu’on a vu les membres du CPQ se donner un porte-parole extrémiste, provenant de l’IÉM, ce think tank ultralibéral financé par l’oligarchie canadienne.
Depuis les années 1990, jusqu’à la crise de 2008 qu’ils finiront par provoquer, on peut résumer l’évolution du patronat comme celle du triomphe de la cupidité. Partout, ils ont fait diminuer la progressivité de l’impôt. Jusqu’aux années 1970, il n’était pas rare de voir les taux d’imposition des riches frôler les 80 et 90%. La remontée des forces politiques de l’oligarchie a fait en sorte qu’aujourd’hui ces taux ont diminué à 30% ou moins. Les super-riches paient parfois moins d’impôts que leurs secrétaires, comme nous l’a démontré l’homme le plus riche du monde (Warren Buffett). Ce sont ces inégalités croissantes qui ont mené à la crise, dont nous subissons encore (du moins nous, les 97% de la population) les séquelles. Et Mme Françoise Betrand a le culot de proclamer que « le gouvernement ne comprend pas les impacts économiques de ses décisions » !!!!!!!
En fait de compréhension économique, je préfère encore me fier aux réflexions de deux prix ‘Nobel’ d’économie (dont je reproduis des recensions de leurs plus récents ouvrages dans un billet qui paraîtra vendredi). En particulier celui de J. Stiglitz qui affirme dans son ouvrage Le prix de l’inégalité que « la politique économique peut jouer un rôle pour réduire les inégalités. Il faut une politique budgétaire orientée vers la promotion de l’investissement public, taxer la pollution plus que le travail, augmenter les impôts sur les riches. » À titre de porte-parole du front du refus, Mme Bertand se ferme les yeux et se bouche les oreilles pour ne pas être contaminé par ce discours. Malheureusement, elle ne se ferme pas la gueule… Mais on peut être sûr qu’elle sera de toutes les batailles pour faire tomber le gouvernement Marois le plus rapidement possible.
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