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Le samedi 23 avril 2022

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Solidarité internationale : le christianisme de gauche est en perte de vitesse

Les deux dernières décennies ont radicalement changé la donne dans les pays du Sud : une théologie dite de la prospérité concurrence désormais la théologie de la libération. Itinéraire sociopolitique de cette transformation qui secoue bon nombre d’organisations de coopération internationale (OCI) à travers le monde, notablement en Amérique latine.

Le changement au sein des communautés ecclésiales de base (CEB) en Amérique latine, généralement très progressistes, s’explique d’abord par une évolution interne très forte au sortir des dictatures. On assiste à un «transfert de compétences». Sous les dictatures, grosso modo des années 1960 aux années 1990, donc pendant plus ou moins 25 ans, seules les CEB pouvaient faire bouger les choses. Avec l’ouverture démocratique du début des années 1990, les organisations syndicales, paysannes, de jeunes, des ONG, des partis politiques de gauche, etc. sortent de leur quasi-clandestinité et opèrent désormais au grand jour. Les CEB sont dès lors appelés à se redéfinir puisqu’elles n’ont plus à exercer ce rôle de suppléance qu’elles pratiquaient sous la dictature. Les générations qui ont mis au monde les CEB avaient vécu pour l’essentiel sous une dictature militaire et avaient fait des CEB des lieux d’activités religieuses et d’activités sociopolitiques liées à un contexte spécifique, celui d’une action collective des paysans et des travailleurs pauvres constamment réprimés.

Par delà ce transfert de compétences, ce qui a commencé à se profiler et à s’exprimer avec la fin des dictatures, ce sont tout à la fois l’arrivée des nouvelles générations et d’autres enjeux sociaux : la question écologique, les droits des femmes, la montée du secteur informel… et des aspirations nouvelles au sein de générations plus soucieuses de leur épanouissement personnel dans un contexte démocratique et de croissance économique.

Mais le tournant dans la contribution des CEB s’explique aussi par un facteur externe, celui de la montée d’un nouveau courant religieux conservateur relativement bien adapté à la modernité et qui devient, dès la fin des années 80, un rival des secteurs progressistes sur le même terrain, celui des classes populaires. Jugées trop politisées aux yeux d’une partie des leurs, les CEB voient une frange de leurs membres quitter leurs rangs pour rejoindre les mouvements pentecôtistes plus conservateurs mais plus chaleureux, plus festifs, plus émotionnels. Tandis qu’une autre frange prend davantage de responsabilités dans les organisations syndicales, paysannes, de quartiers ou des partis politiques qui peuvent désormais émerger dans l’espace démocratique. Par voie de conséquence, un bon nombre est amené à délaisser quelque peu l’animation et la prise en charge des activités de leur CEB.

Mais qui sont ces protestants évangéliques? En 1996, la population en Amérique latine s’affiche à 74% catholique. En 2007, le chiffre a baissé à 64% pendant que les évangéliques de 11% qu’ils étaient à pareille date sont passés 10 ans plus tard à 17%. Certes minoritaires, ils sont au Brésil particulièrement actifs. Terreau principal : les bidonvilles. Culture de ces «born again christians», quasi-exclusivement pentecôtistes dans le cas du Brésil : une théologie de la prospérité centrée sur l’individu, la réussite personnelle et familiale, la santé et la richesse. Figure de proue : les petits entrepreneurs. Base sociale : des travailleurs indépendants issus du secteur informel. Pédagogie : économiser même si c’est peu dans le but d’investir plus tard, aspirer à devenir un entrepreneur, penser positivement. Le pentecôtisme traditionnel misait sur le sacrifice et la modestie dans la façon de vivre. Le nouveau pentecôtisme mise sur la prospérité et la réussite.

Et ce nouveau pentecôtisme n’est pas uniquement présent en Amérique latine. Il est présent dans le monde entier. En Afrique anglophone notamment. Sur fond d’échec de l’État à devenir un État social dans nombre de pays du Sud, il fleurit à partir de pasteurs militants qui ont les moyens de pallier à la faillite des États dans leur rôle de redistribution de la richesse en s’occupant eux-mêmes des questions de santé, des problèmes de couple, du chômage des uns ou de la misère des autres. Il motive leurs membres en liant réussite financière et bénédiction de Dieu. Et il crée des systèmes d’entraide paroissiaux efficaces. On notera ici que Vision mondiale, de plus en plus présent au Québec, est au coeur de ce dispositif.

La concurrence entre religions

Théologie de la libération et théologie de la prospérité, communautés ecclésiales de base progressistes et paroisses évangéliques de l’autre au sein des mêmes classes populaires de pays du Sud. Voilà où nous en sommes présentement. Les jeux ne sont pas faits. Les uns comme les autres se renouvellent constamment. Il n’en demeure pas moins qu’une zone de tension existe entre d’un côté un combat à mener pour le développement et la démocratie et de l’autre un assistanat social adossé au déni de neutralité religieuse dans l’action collective entreprise.

En fait, cette zone de tension entre deux conceptions du christianisme se répercute directement sur plusieurs ONG qui ont des origines religieuses. Elle a provoqué un tournant par exemple au sein de Caritas internationalis, un réseau catholique d’ONG présent dans 165 pays du monde. L’exigence actuelle du Vatican est à l’effet qu’il doit se reconfessionnaliser, redéfinir son mode d’intervention et sa philosophie. C’est, en tout état de cause, ce qu’a révélé son dernier congrès à Rome en mai 2011. Car Caritas était depuis plusieurs décennies déjà une «communauté de croyance opérant de manière séculière» dit la sociologue des religions Julia Berger (dans Duriez et alii, 2007 : 28) ou si l’on veut une ONG confessionnelle laïcisée référant à des valeurs religieuses issues du Concile Vatican II (justice sociale, développement des peuples)…mais très secondairement à des autorités religieuses (la plupart du temps pour avoir leur appui dans des actions de caractère social). Le non-dit de la chose : la concurrence entre les évangéliques et les catholiques sur le marché de l’aide internationale. Avis aux intéressés!

Le grand virage de l’Église catholique avec le pape actuel

Aujourd’hui le dernier congrès de Caritas porte à croire qu’un virage majeur a eu lieu. Autrement dit la coopération internationale du Nord avec des communautés du Sud qui opérait dans une perspective progressiste depuis 50 ans est en train de modifier sa trajectoire: 1) les OCI de ce courant ne prenaient pas en considération les appartenances religieuses des populations; 2) les campagnes d’éducation qu’elles entreprenaient ne véhiculaient pas explicitement de message chrétien dans une perspective d’évangélisation; 3) la direction de ces organisations était reconnue explicitement comme étant celle de laïcs; 4) l’engagement de leur personnel n’était pas fait sur la base de la conviction religieuse mais sur celle de la compétence et de l’engagement social; 5) une bonne partie de leur financement provenait de sources publiques ou indépendantes de toute affiliation religieuse.

On verra donc de plus en plus d’organisations de la mouvance catholique se réafficher catholiques (les OCI de cette mouture sont assez nombreuses ici comme ailleurs dans le monde), entreprendre des actions de moins en moins politisées au bénéfice de différents formes d’assistanat, rétrécir leurs partenariats en s’engageant de moins en moins aux côtés d’organisations non-confessionnelles dans un combat commun (parce que cela induirait de rendre plus discrètes leur filiation religieuse et exigerait d’appliquant le principe de la neutralité), se référer de plus en plus à leurs autorités religieuses respectives dans leurs choix. Les jeux ne sont pas encore complètement faits mais la tendance de fond en cours a déjà modifié la trajectoire d’antan.

Pour en savoir plus, on va sur le blogue de la CRDC (à l’UQO)

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