François L’Italien a déjà présenté, sur OikosBlogue, sa recherche sur l’accaparement des terres agricoles, au Québec et ailleurs. Réalisé pour le compte de l’Union des producteurs agricoles, cette recherche apportait un éclairage nouveau sur les pratiques spéculatives de plusieurs acteurs financiers comme un des facteurs pouvant expliquer l’explosion de transactions foncières dans le domaine des terres agricoles. Parmi les pistes de solutions qui étaient exploré dans le rapport, la mise en place d’un Bureau d’enregistrement et de surveillance (visant à répertorier et autoriser toute transaction foncière en exerçant un droit de préemption sur la base d’unités régionales) était présentée comme une avenue prometteuse. Cette approche, développée en France sous la forme de Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer – société sans but lucratif sous tutelle des ministères de l’Agriculture et des Finances créée il y a plus de 50 ans) aurait d’ailleurs fait ses preuves.
Or justement, Robert Lévesque, directeur de la Fédération Nationale des Sociétés d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural (FNSafer – France), déclarait récemment qu’il était urgent pour la France de se donner de nouveaux moyens pour écarter du chemin ces « envahisseurs » du domaine foncier qui achètent des terres pour le rendement. « Ce sont des individus qui se spécialisent dans des montages financiers de plus en plus complexes pour échapper à notre surveillance. Et ils sont bien conseillés juridiquement quand vient le moment de rédiger des contrats de vente qui renferment des subtilités difficiles à décoder. » Donc malgré l’intérêt de doter le Québec d’institutions telles que les Safer, il semble que ces dernières ne disposent pas des pouvoirs pour protéger toutes les terres agricoles, bien qu’il lui soit permis de bloquer une transaction si elle ne va pas dans l’intérêt de l’agriculture.
Le problème vient du fait que le nombre des exploitations agricoles familiales françaises diminue. L’agriculture française serait de moins en moins à l’image des petites exploitations familiales. L’agriculture française évolue car pour la première fois en 2011, les transactions sur les terres louées ont dépassé en nombre et en surface les transactions sur les terres libres. « Le fermage est passé de 49% à 77% des terres cultivées entre 1970 et 2011 », affirme Robert Levesque. La FNSafer s’alarme de l’importance croissante du marché des locations et des reprises de parts de société (dont les transactions ne sont pas communiquées aux Safer). « Ce manque de transparence ne permet pas de bien appréhender le phénomène de concentration des exploitations agricoles », ce qui fait craindre que « l’évolution puisse préparer un terrain propice à la prise de contrôle des exploitations les plus profitables par des investisseurs étrangers à l’agriculture ». Autre évolution : les exploitations cherchent de plus en plus à s’agrandir. Résultat, leur nombre ne cesse de se réduire. En 1955, la France comptait 2,2 millions d’exploitations et 6,1 millions d’actifs agricoles. En 2000, le nombre de structures est tombé à 660 000 et celui des employés à 1,3 million. Dix ans plus tard, le nombre des exploitations est descendu à 490 000 et celui des actifs à 970 000. Les agriculteurs restent les acquéreurs majoritaires du marché agricole en captant plus de 60% du marché en nombre et en surface, mais leurs acquisitions déclinent depuis 1999. A l’inverse, les sociétés d’exploitation agricole ont multiplié par 2,8 leurs achats depuis le milieu des années 1990. Les non-agriculteurs occupent quant à eux 21% du marché en nombre mais 36% en valeur du fait de leur préférence pour les biens bâtis.
Comment faire pour contrer ce phénomène grandissant ? Robert Lévesque répond qu’il faut opter pour le modèle d’une agriculture familiale, par opposition à une agriculture de financiers. Or, la financiarisation de l’agriculture gagne du terrain. « Il faut savoir laquelle des deux agricultures on désire. Une fois qu’on l’aura définie, on pourra mieux intervenir. On pourra aussi se commettre politiquement ».
Pour ceux qui veulent en savoir davantage sur la situation de l’accaparement des terres dans les pays du Sud, je vous suggère de lire « L’accaparement des terres est un problème de société. Le point de vue du Roppa », Le Roppa c’est le Réseau des organisations paysannes et des producteurs de l’Afrique de l’Ouest.
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