L’auteur invité est Dani Rodrik, professeur en économie politique internationale à l’Université de Harvard, auteur de The Globalization Paradox: Democracy and the Future of the World Economy (Le Paradoxe de la globalisation : démocratie et avenir de l’économie mondiale).
En l’an 2000, 189 pays ont adopté ensemble la Déclaration du Millénaire des Nations Unies, qui s’est concrétisée par une série d’objectifs appelés objectifs du Millénaire pour le développement (les OMD). Ces objectifs ambitieux, censés être atteint à la fin de 2015 consistent à réduire de moitié l’extrême pauvreté et du trois-quarts, la mortalité des femmes à l’accouchement, assurant également l’éducation primaire de tous les enfants tout en arrêtant la progression du taux de VIH et du SIDA pour qu’il entame sa phase descendante. L’heure de tombée approchant, les experts en développement se préparent à débattre d’une nouvelle question : que faire après cette date?
Il est presque certain que bon nombre des OMD ne seront pas atteints à la fin de 2015, mais certains domaines ont connu des progrès fulgurants, notamment le but atteint d’avance visant à réduire de moitié l’extrême pauvreté (mesurée par le nombre de gens dont le gagne-pain quotidien est inférieur à 1,25 $), et ce, en grande partie en raison de la croissance phénoménale de la Chine.
Parallèlement, les preuves sont rares que ces succès découlent uniquement des OMD. La Chine a appliqué les politiques qui ont mis en branle, de manière indépendante, le plus grand programme d’éradication de la pauvreté avant la Déclaration du Millénaire et les OMD.
Il est clair cependant que les OMD se sont avérés une opération très réussie de relations publiques, sans vouloir déprécier leur contribution. Comme toutes les opérations méritoires de relations publiques, les OMD ont permis de sensibiliser les pays riches, de focaliser l’attention et de mobiliser des moyens d’action, et tout cela pour une juste cause. Ils ont amplifié les débats internationaux portant sur le développement et ont défini le cadre de discussion. Et certains signes montrent que les objectifs ont amené les pays avancés à s’intéresser davantage au sort des nations démunies.
En fait, les OMD ont peut-être eu leur plus grande répercussion sur les flux d’aide des pays riches vers les pays pauvres. Une étude de Charles Kenny et Andy Sumner pour le Center for Global Development à Washington, DC, permet de penser que les OMD ont non seulement gonflé les flux d’aide, mais les a aussi redirigés vers des pays plus petits, plus pauvres et dans des domaines ciblés comme l’éducation et la santé publique. Cependant, l’aide n’était directement liée ni à la performance ni aux résultats et il est beaucoup plus difficile de déterminer si, globalement, elle a eu les effets bénéfiques escomptés.
Les OMD englobent 8 buts, 21 objectifs et 60 indicateurs. De nombreuses critiques se sont attardées sur l’utilisation de ces objectifs et indicateurs chiffrés, qui, selon les septiques, seraient mal paramétrés, mal mesurés et détourneraient l’attention de domaines tout aussi importants. Mais ces plaintes passent à côté de l’essentiel. La meilleure manière pour assurer qu’une intervention demeure concrète et applicable est d’établir des objectifs quantitatifs clairs et de faire des bilans des résultats.
Pourtant, un paradoxe central pèse sur les OMD. La Déclaration du Millénaire était censée être un pacte mondial entre les pays riches et les pays pauvres. Les pays démunis ont promis de recentrer leurs efforts de développement tandis que les pays riches se sont engagés à les aider par du financement, des technologies et un accès à leurs marchés. Mais, bizarrement, des huit buts, seuls les derniers gravitent autour du « partenariat mondial », et non sur ce que les pays riches peuvent faire ou devraient faire.
Même là, les OMD ne comportent aucun objectif chiffré d’aide financière ou tout autre aspect de l’aide des pays riches contrairement aux objectifs très spécifiques à la pauvreté des pays en voie de développement. Il est sans doute significatif que les « tableaux de suivi » préparés par le Programme de développement des Nations Unies, l’agence chargée de produire un rapport sur l’état d’avancement des OMD, ne recensent que l’utilisation l’Internet sous cette rubrique.
Un flou demeure sur la raison pour laquelle une intervention internationale soit nécessaire pour convaincre des pays en voie de développement d’agir pour leur propre bien. La réduction de la pauvreté et le développement humain devrait être la première chose à faire pour les gouvernements de ces pays, sans ou avec les OMD.
Bien entendu, les gouvernements poursuivent souvent des buts différents, pour des raisons politiques, militaires et autres justifications. Il est donc illusoire de penser qu’ils peuvent être persuadés d’agir autrement par ces déclarations internationales sans mécanisme d’application. Une chose qui est maintenant bien établie dans le domaine du développement, c’est qu’une véritable réforme ne peut s’acheter avec des fonds de donateurs, et encore moins avec de vagues promesses de financement.
Tout aussi problématiques, les OMD supposent implicitement que nous savons comment réaliser ces objectifs de développement, et que les seules choses qui manquent sont les ressources et la volonté politique. Il est toutefois peu probable que les décideurs publics les mieux intentionnés aient la pleine maîtrise de dossiers, disons, des méthodes pour relever de manière durable le taux de réussite à l’enseignement secondaire ou réduire la mortalité des femmes qui enfantent.
Bon nombre d’économistes du développement avancent l’argument que des améliorations importantes dans la gouvernance et les institutions politiques sont requises avant que de tels buts puissent être atteints. Au mieux, les pays riches peuvent assurer un environnement favorable au bénéfice des pays en voie de développement qui ont la volonté et qui sont en mesure d’en tirer parti.
Ces considérations indiquent une direction évidente pour la prochaine phase des OMD. Premièrement, un nouveau pacte mondial doit porter plus directement sur les responsabilités des pays riches. Deuxièmement, il doit mettre l’accent sur des politiques qui vont au-delà de l’aide et des échanges commerciaux, mais qui ont des incidences aussi importantes, sinon plus, sur les perspectives de développement des pays pauvres.
Une liste restreinte de telles politiques comprendrait : l’imposition de taxes sur le carbone et d’autres mesures d’atténuation des changements climatiques ; l’émission de davantage de permis de travail permettant une plus grande immigration temporaire en provenance des pays pauvres ; des contrôles stricts sur la vente d’armes aux nations en voie de développement ; une réduction de l’aide aux régimes répressifs ; ainsi qu’un meilleur échange des données financières pour réduire le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale.
Fait à remarquer, la plupart de ces mesures visent en fait à réduire l’ampleur de fléaux (changements climatiques, conflits armés, crimes financiers, etc.) qui, en général, sont des phénomènes qui proviennent de comportements humains dans les pays riches. Le principe qui vise à éviter tout préjudice est ici aussi judicieux qu’en médecine.
Ce genre de réorientation n’est jamais chose facile. Les pays avancés viseront sans aucun doute de nouveaux engagements. Mais la plupart de ces mesures ne coûtent rien, et comme les OMD l’ont montré, l’exercice de définition des objectifs peut être utilisé pour inciter les gouvernements des pays riches à agir. Si la communauté internationale doit investir dans une nouvelle initiative d’envergure en relations publiques, elle devrait tout aussi bien se concentrer dans des domaines où les retombées potentielles sont les plus importantes.
Copyright: Project Syndicate, 2012.
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Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
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